Directive de la Commission suisse de maturité sur les mesures de compensation des désavantages au gymnase

Une harmonisation par le bas ?

Arun Bolkensteyn

DOI: https://doi.org/10.57161/r2025-03-07

Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 15, 03/2025

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Le 28 juin 2023, le Conseil fédéral a adopté une nouvelle Ordonnance sur la Reconnaissance des certificats de Maturité gymnasiale (ORM ; RS 413.11). Le même jour, il a conclu une Convention administrative avec la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) sur la coopération dans le domaine de la maturité gymnasiale (Convention administrative ; RS 413.18 ). Abrogeant des textes de 1995, l’Ordonnance et la Convention sont entrées en vigueur le 1er aout 2024. La Convention administrative instaure une Commission suisse de maturité (CSM), qui est l’instance de reconnaissance commune de la Confédération et des cantons. Si cette instance existait déjà, ses compétences ont été élargies. La CSM peut désormais « émettre des directives et des recommandations visant à améliorer l’équité, notamment en matière de compensation des désavantages » (Convention administrative, art. 4, al. 3, let. f).

Faisant usage de cette nouvelle prérogative, la CSM a adopté le 20 septembre 2024, à l’unanimité, une Directive concernant l’harmonisation des mesures de compensation des désavantages dans le domaine de la maturité gymnasiale, qui a été communiquée aux offices cantonaux de l’enseignement secondaire II le 6 novembre 2024. Cette directive remplace une recommandation informelle, adoptée en septembre 2022 par la CSM (avant qu’elle ne soit compétente pour émettre des directives ou des recommandations officielles). Elle définit la compensation des désavantages comme une « différence de traitement autorisée afin d’éviter une inégalité à l’encontre des personnes en formation qui vivent avec un handicap dûment attesté » (ch. 3.2) et fixe les principes relatifs aux mesures de compensation des désavantages (ci-après MCD) et la procédure applicable (ch. 3.3 et 4). En annexe, elle contient entre autres une recommandation relative aux MCD lors des examens finaux (annexe, let. e). L’une des mesures envisageables est l’octroi de temps supplémentaire, tant à l’écrit qu’à l’oral, suivant le diagnostic retenu. En cas d’examen écrit, la directive prévoit « généralement 10 % à 15 % de temps supplémentaire », aussi bien en cas de troubles anxieux qu’en cas de dyslexie-dysorthographie. Une fourchette aussi étroite ne laisse que peu de place à un examen individuel, pourtant exigé par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH ; RS 0.109). Par ailleurs, la directive contraste avec la pratique de certains cantons, romands en particulier, d’accorder jusqu’à un tiers de temps supplémentaire. En effet, les subtilités de la langue française la rendent spécialement difficile à appréhender surtout pour les personnes dyslexiques-dysorthographiques, davantage que l’allemand ou l’italien. Cela dit, formellement, la liste annexée à la directive « a valeur de recommandation », qui plus est uniquement pour les examens finaux.

En réponse à la motion « Maturité gymnasiale. Autoriser l'étudiant concerné par un trouble dys- à utiliser un ordinateur » (motion 24.3100) du Conseiller national Sidney Kamerzin (Le Centre / VS), le Conseil fédéral a souligné que les directives du CSM « font office d’exigences minimales, fixent des principes généraux pour la compensation des désavantages et clarifient les questions de procédure. ». À noter que cette motion a été adoptée le 26 septembre 2024 par le Conseil national, tandis que le Conseil des États doit encore se prononcer.

Les cantons demeurent donc libres de conserver, voire d’adopter, une pratique plus généreuse et plus équitable. Ainsi, le Département genevois de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) a adopté, le 1er juillet 2025, une directive sur la compensation des désavantages pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (directive D.E.DIP.02 Aménagements formels). Celle-ci prévoit encore l’octroi d’un tiers-temps supplémentaire au maximum dans le cadre d’une évaluation ou d’un examen (ch. 3, p. 5).

En revanche, dans le canton de Fribourg, la Ière Cour administrative du Tribunal cantonal a récemment confirmé une décision n’accordant que 10 % de temps supplémentaire lors des évaluations écrites dans le cadre de la première année d’études gymnasiales, en se référant à une directive cantonale du 11 juillet 2016 concernant l’octroi de mesures de compensation des désavantages et la jurisprudence relative à cette dernière. Elle a ainsi refusé le tiers-temps supplémentaire requis, mesure dont l’intéressé avait pourtant bénéficié au cycle d’orientation (arrêt 601 2024 138 du 9 juillet 2025 ; l’arrêt, n’étant pas encore définitif, peut faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral). La directive sur l’harmonisation des MCD de la CSM n’a ainsi pas joué de rôle déterminant dans l’issue du litige et la portée de l’arrêt est limitée au canton de Fribourg.

Cela étant, cette affaire illustre qu’une décision refusant une MCD ou ne l’octroyant que partiellement est susceptible de recours. Les clauses d’exclusion ou restrictions du pouvoir de cognition[1] prévalant en matière de résultats d’examens ou d’autres évaluations de capacités ne trouvent pas application, car le litige porte sur l’octroi de temps supplémentaire pour compenser un désavantage. Ainsi, au Tribunal fédéral, c’est bien le recours en matière de droit public qui est ouvert (ATF 147 I 73 consid. 1.2 ; arrêt du TF 2C_299/2023 du 7 mai 2024). Dans l’affaire susvisée, c’est donc à tort que le Tribunal cantonal fribourgeois s’est limité à un examen restreint du recours (arrêt 601 2024 138 précité, consid. 2). Octroyer ou non du temps supplémentaire pour compenser un désavantage est une décision de nature organisationnelle et ne porte pas sur l’évaluation des aptitudes d’une personne, si bien que l’art. 96a du Code fribourgeois de procédure et juridiction administrative (CPJA ; RSF 150.1) ne s’appliquait pas et que le tribunal disposait en réalité d’un plein pouvoir d’examen.

En définitive, si la directive édictée par la CSM semble calquée sur la pratique de la langue allemande, majoritaire en Suisse, elle n’empêche pas les cantons d’octroyer jusqu’à un tiers de temps supplémentaire en cas de troubles dys, notamment afin de tenir compte des difficultés de la langue française ou pour individualiser la mesure. Si le risque d’une harmonisation par le bas ne saurait être écarté, l’exemple du canton de Genève montre que cela n’est pas inéluctable, bien au contraire !

Arun Bolkensteyn

Docteure en droit

Collaboratrice juridique
au sein du Département Égalité

Inclusion Handicap
arun.bolkensteyn@inclusion-handicap.ch

  1. Si le pouvoir de cognition est restreint, le tribunal examine la décision attaquée avec retenue et laisse une large marge d’appréciation à l’autorité compétente. Cela tend à amoindrir les chances de succès.