DOI: https://doi.org/10.57161/r2025-02-07
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 15, 02/2025
Depuis 2014, la Suisse a l’obligation de garantir, par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), une pleine inclusion de chacune et chacun dans la société. Pourtant, en 2023, quatre personnes en situation de handicap sur cinq se sentent limitées dans leur quotidien (voir étude Indice de l’inclusion 2023). Le constat est amer : malgré des obligations légales et une demande d’accompagnement en forte hausse, les moyens alloués par la Confédération stagnent.
Les effets de ce désengagement se font cruellement sentir. Pour la première fois de son histoire, Pro Infirmis, plus grande organisation spécialisée dans le domaine du handicap, a été contrainte de réduire ses prestations. Alors que le nombre de personnes suivies a augmenté d’un tiers en dix ans, les subventions fédérales, elles, n’ont pas bougé. Résultat : 12 000 heures de conseil social ont dû être supprimées, précisément dans le domaine qui constitue le premier et souvent le plus important point de contact pour de nombreuses personnes en situation de handicap et leurs proches. Derrière ces chiffres abstraits, ce sont des personnes en chair et en os qui sont fragilisées.
Afin de ne laisser personne sur le carreau, Pro Infirmis a conseillé pendant des années nettement plus de personnes que ne le prévoyait l'accord avec la Confédération. Cela a été possible dans un premier temps parce que de nombreux cantons ont apporté des moyens financiers supplémentaires et que Pro Infirmis a pu combler le déficit grâce aux dons et aux réserves. Mais cette stratégie atteint aujourd’hui ses limites.
La situation est d’autant plus préoccupante que les besoins explosent. Les causes ? Une population croissante, les incertitudes économiques et la numérisation qui fragilise les moins autonomes. La pandémie de la COVID-19 a encore aggravé les inégalités, notamment chez les jeunes : Pro Infirmis a vu une hausse de 37 % des demandes dans la tranche d’âge des 13-25 ans depuis 2020. Chez les jeunes ayant des troubles psychiques, la demande a doublé. Et pourtant, beaucoup de ces jeunes ne touchent même pas de rente AI, ce qui les rend invisibles pour les aides étatiques.
Le Contrôle fédéral des finances lui-même, l'organe suprême de surveillance financière de la Confédération, a critiqué la situation actuelle dans son rapport d’audit de l’octroi des subventions aux organisations privées d’aide aux personnes handicapées publié en 2023, dénonçant une attribution rigide et en baisse des ressources.
Il ne s’agit pas ici de demandes luxueuses, mais d’assurer des besoins fondamentaux : accès à l’information, accompagnement dans la vie quotidienne, défense des droits élémentaires, etc. Chaque franc investi dans le conseil et la prévention évite des crises, des hospitalisations et des ruptures de parcours. Ne pas agir aujourd’hui, c’est choisir de payer plus cher demain, humainement et financièrement.
Il est temps que la Confédération prenne ses responsabilités. La Loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI), qui définit les subventions pour les organisations privée, doit être révisée pour que son application soit en phase avec les besoins réels. Le droit à l’inclusion ne peut rester lettre morte. Ce qui est en jeu, c’est la dignité de milliers de personnes, ainsi que notre cohésion sociale.
Lionel Frei Communication et Public Affairs Suisse romande |