D’une vision partagée aux pratiques plurielles, en passant par ses défis
Résumé
La promesse est forte : la conception universelle de l’apprentissage (CUA) prétend participer à une approche inclusive de l’éducation et de la formation, dans laquelle chaque élève peut s’épanouir et apprendre. Pour ce faire, des organisations nouvelles sont conviées, parallèlement à une réattribution de la responsabilité d’apprendre aux bénéficiaires de l’enseignement, alors invité à opérer des choix. Cependant, il relève de l’évidence qu’un tel projet, s’il est retenu, ne se déploiera pas sans écueils, que ça soit pour des raisons de temps, de ressources, de formation ou de complexité. Cet article propose une synthèse de ce que la CUA propose, confronté à ce qu’elle exige.
Zusammenfassung
Das Versprechen ist gross: Das Universal Design for Learning (UDL) soll zu einer inklusiven Bildung beitragen, bei der alle Schülerinnen und Schüler sich entfalten und lernen können. Um dies zu erreichen, werden neue Organisationsformen gefordert. Die Verantwortung für das Lernen wird wieder auf die Empfänger:innen der Bildung übertragen, die dann Wahlmöglichkeiten haben. Es gibt auch Hindernisse bei der Umsetzung von UDL, sei es aus Gründen der Zeit, der Ressourcen, der Ausbildung oder der Komplexität. Dieser Artikel bietet eine Zusammenfassung dessen, was das UDL vorschlägt und was es verlangt.
Keywords: Conception universelle de l’apprentissage, inclusion, choix, responsabilisation / Inklusion, Universal Design for Learning, Wahlmöglichkeiten, Verantwortungsübernahme
DOI: https://doi.org/10.57161/r2024-03-01
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 14, 03/2024
Le projet de l’école inclusive relève d’un défi dont la taille a parfois été sous-estimée. Il n’est pas rare de voir dans certaines classes de nombreux élèves bénéficiant d’adaptations ou d’un soutien pédagothérapeutique individualisé. Cette réalité interroge plusieurs aspects, que ça soit la charge induite par la coordination de la multiplicité d’interventions ou encore la capacité effective du système scolaire à accueillir une diversité d’élèves aux profils pluriels (Hornby & Kauffman, 2023). Certes, des mécanismes administratifs régulent l’accès à ces interventions pédagothérapeutiques, afin de rester dans les couts, d’éviter les délégations de charges non justifiées et de veiller à ce que les compétences restent dans la classe. Toutefois, les tensions semblent perpétuelles, entre des velléités d’une école pour toutes et tous et la faisabilité d’une institution ouverte à la diversité (Graham et al., 2023).
Dans le contexte éducatif nord-américain ayant des contraintes et des contingences différentes, d’autres fonctionnements ont émergé pour participer au projet de l’école inclusive. L’un d’eux est la conception universelle de l’apprentissage (CUA). Certes, il y a du slogan dans cette philosophie, ainsi que de la prétention laissant croire à l’universalité. Mais, cette autre manière d’aborder la diversité des élèves mérite de s’y intéresser pour peut-être s’en inspirer quelque peu et interroger tant les pratiques enseignantes que les fonctionnements institutionnels. Le but de cet article est donc de synthétiser une partie de la littérature traitant de la CUA et d’y ajouter quelques retours d’expériences, pour faciliter l’appropriation de cette manière de faire école, entre changement paradigmatique et défis de mise en œuvre.
Qui n’a pas choisi le métier de l’enseignement dans le but de permettre à chaque élève de grandir, de se développer, de s’émanciper ? Régulièrement, ces aspirations se confrontent à des contraintes institutionnelles ou des cultures scolaires ne permettant plus de voir cette émancipation potentielle dans le quotidien pédagogique. Il y aurait n épreuves notées à réaliser d’ici les vacances, des moyens d’enseignement à suivre, ou encore des injonctions à avoir des pratiques uniformes au sein d’un cycle scolaire. Répondre aux injonctions institutionnelles et aux besoins de l’élève, les tensions semblent parfois insurmontables. Face à cela, la CUA est parfois présentée comme étant une approche permettant de retrouver cette « posture bienveillante » (Senécal et al., 2018, p. 3), dans laquelle chaque apprenante et apprenant aura l’espace pour opérer des choix, se responsabiliser et grandir. La CUA n’est donc ni une vision de l’éducation pensée pour un degré scolaire en particulier ni une recette à appliquer, mais bien une philosophie avec laquelle une diversité de pratiques pédagogiques et institutionnelles peut émerger.
Par conséquent, cette diversité amène une conséquence importante : l’absence de preuves claires quant aux bénéfices de la CUA pour les élèves. Certes, certains résultats de recherche invitent à s’intéresser à la CUA, notamment parce qu’elle participerait à l’amélioration des processus d’apprentissage (Capp, 2017) sans pour autant avoir d’impact négatif sur les apprentissages effectifs (Ok et al., 2017). Toutefois, ces travaux scientifiques restent trop peu nombreux pour justifier un déploiement large de la CUA à tous les niveaux. Par exemple, il semble manquer de résultats pretest et post-test rigoureux ou une opérationnalisation univoque des critères qualifiant une pratique de CUA. En bref,
en tant que philosophie ou idéologie, il y a beaucoup à discuter à propos de la CUA, même si les principes sous-jacents de cette approche sont certainement étayés par un certain nombre de preuves. Les recherches visant à confirmer l’efficacité de la CUA sont actuellement limitées, en partie parce qu’il est questionnable si oui ou non la CUA dans sa globalité peut réellement faire l’objet d’une mise à l’épreuve. (traduit de De Bruyckere et al., 2020, p. 64)
Les origines architecturales de la CUA sont explicites (Persson et al., 2015). La conception des espaces publics permettant l’accès au plus grand nombre se base sur sept principes fondateurs (Centre for Excellence in Universal Design [CEUD], 2024) : usage équitable, flexible, simple et intuitif, aux informations perceptibles, avec tolérance à l’erreur, peu d’effort physique nécessaire et un espace suffisant. En prenant en exemple une porte, cette liste se transforme ainsi : pour une main gauche comme une main droite, mais aussi pour les coudes, sans hésitation en arrivant devant, avec des pictogrammes explicites quant au sens d’ouverture, sans risque de se blesser, car légère notamment, et suffisamment grande pour qu’une personne à mobilité réduite puisse passer. Il semble donc y avoir un projet juste, sage et démocratique dans cette vision de société promue par la conception universelle. Comment la pédagogie s’en est-elle alors saisie ?
Tout d’abord, il faut tout relever un problème de vocabulaire dans la terminologie francophone. Le terme « conception » s’accompagne d’une polysémie malvenue[1], entre le faire et le croire. De plus, les termes « de l’apprentissage » tranchent avec la formulation anglophone « for learning ». C’est bien l’idée de générer (« conception ») des expériences de sorte que chacune et chacun (« universelle ») puisse trouver le nécessaire pour son développement et sa participation scolaire (« apprentissage »). Cette polysémie amène possiblement des propositions de termes parallèles, comme la pédagogie universelle (Bergeron et al., 2011) ou une pédagogie sans barrière (Degenhardt, 2020). Parfois présentée comme « une avenue éducative prometteuse […] pour la prise en compte de la diversité fonctionnelle des élèves » (Tremplay, 2013, p. 43), la CUA invite à la dénormalisation (Bergeron et al., 2011) et à l’intégration de flexibilité dans les curriculums (CAST, 2024), laissant une place importante aux choix des apprenantes et apprenants (Murawski & Ricci, 2019) et donc leur responsabilisation. Le tout s’inscrit dans le but de tendre vers une école inclusive (Kennedy et al., 2018) conçue pour toutes et tous, non pour un élève moyen hypothétique (Meyer et al., 2014).
Malgré certains intérêts évidents de l’orientation médicale de la pédagogie spécialisée (Florian, 2007), où il y a la nécessité d’analyser les besoins pour ensuite construire des interventions en conséquence, un appel au changement semble nécessaire lorsque l’école pour toutes et tous est souhaitée. En effet, il est pragmatiquement impossible pour le corps enseignant de concevoir 25 programmes scolaires adaptés, pour des raisons de distribution de l’attention, de planification ou de relations pédagogiques (Galkiene & Monkeviciene, 2021), dans une école où chaque élève est singulier. La CUA propose alors autre chose, en invitant à faire confiance aux élèves pour sélectionner les ressources, les médiations et les activités ajustées à leurs besoins, dans un environnement riche et pluriel où les objectifs d’apprentissage ont été explicités. Pour la pédagogie, c’est le passage d’une réponse à des individus – propre à la différenciation (ou du moins, à certaines définitions de la différenciation) – à une approche proactive où la pluralité est la norme (Proyer et al., 2021). De manière un peu caricaturale, le rôle de l’enseignante ou enseignant revient alors à :
L’élève doit faire des choix et se responsabiliser pour apprendre selon des objectifs identifiés et un environnement ouvert. La CUA ne rejette évidemment pas l’approche d’analyses des besoins individuels pour y remédier – il serait indéfendable d’identifier des barrières à l’apprentissage et de ne pas les considérer –, mais elle arrive dans un second temps, quand les divers moyens pédagogiques mis à disposition et la liberté de choix laissé à l’élève ne suffisent pas à permettre le développement et l’apprentissage.
Une manière de présenter simplement cette vision de l’éducation et de la formation défendue par la CUA serait peut-être de décrire la temporalité dans la conception des environnements d’apprentissage. Si l’intégration invite à modifier quelques éléments de classe juste pour un élève avec un diagnostic officiel ; si l’inclusion invite à maintenir ces modifications pour les autres élèves qui pourraient possiblement en bénéficier (Charras et al., 2012) ; la CUA invite à anticiper une pluralité de solutions avant même de rencontrer la classe, soit au préalable de l’observation des besoins, car le postulat est que chaque élève est singulier. L’intégration et l’inclusion sont des réponses à des individus, la CUA est une conception d’un environnement d’apprentissage diversifié (Proyer et al., 2021). Il y aurait donc une bascule à opérer dans l’organisation de l’école, comme illustrée dans la Figure 1.
Malgré les limites induites par une représentation visuelle, la courbe illustre la diversité des élèves, avec au centre une plus grande majorité d’élèves avec des besoins similaires. La zone colorée représente ce que l’école régulière sans mesures particulières est capable d’assumer. Les flèches sont les mesures particulières qui s’y ajoutent. À gauche (a), c’est une représentation du système scolaire inclusif basé sur des mécanismes d’intégration et de réponse à des besoins identifiés. À droite (b), c’est une représentation du système scolaire inclusif basé sur la CUA.
Cette promesse de la CUA s’accompagne de défis et de craintes qu’il est légitime d’écouter et d’analyser, surtout si une telle pédagogique devait être déployé.
Lorsqu’il s’agit d’adopter la vision pédagogique proposée par la CUA, de nombreux défis émergent dans les croyances et dans les pratiques. Tout d’abord, la CUA amène quelques craintes qui peuvent rendre difficile toute transposition concrète (Senécal et al., 2018).
Une évidence dans le défi de mise en œuvre de la CUA est la perte de contrôle de l’institution et du corps enseignant, puisque celui-ci est rendu aux apprenantes et apprenants (Yu et al., 2021). Cela n’est assurément pas compatible avec l’imputabilité que les gestions de l’école publique pourraient souhaiter dans des perspectives de new management (Lillejord, 2020 ; Verger et al., 2021), certes encore peu présent dans les écoles suisses (Högberg & Lindgren, 2021). En effet, si les élèves opèrent des choix, la maitrise de qui fait quoi, quand et comment devient plus défiante. Il semble possible d’observer et documenter, mais non de chiffrer et étalonner des performances. Dans un contexte de CUA, la qualité de l’enseignement ne pourrait pas être évalué avec des tests standardisés, mais les apprentissages effectifs en contexte pourraient être documentés de manière plurielle. Ceci appelle des modalités d’évaluation des compétences plus proches des portfolios que des épreuves PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves).
Enfin, pour s’engager vers la CUA, Grant et al. (2018) rappellent la nécessité d’adhérer à certains fondements. Il y a non seulement le fait de repenser le concept d’incapacité comme étant la mauvaise rencontre entre les ressources d’un individu et celles de l’environnement (et non un problème intrinsèque à la personne), mais aussi une acceptation du principe de retrait des barrières à l’apprentissage, à l’instar de la consigne orale lorsque l’écrit est difficile. S’ajoute la contrainte de séparer explicitement les objectifs et les contenus/activités. Les premiers sont imposés et les seconds proposés, voire incités, car le choix d’options laissées aux élèves est central dans cette approche. Finalement, c’est un déplacement des finalités de l’éducation et de la formation qui s’opère : le but premier est le développement de l’expertise d’apprendre.
Dans le cadre d’accompagnement d’établissements qui interrogeaient le projet d’école inclusive et souhaitaient être nourris par d’autres perspectives, l’occasion m’a été donnée d’exposer les promesses de la CUA et ses conditions induites par la diversification de l’environnement et les choix laissés aux élèves. Des retours d’expérience ont aussi pu être collectés, de manière très spontanée, sans dispositif de recherche particulier, ce qui invite évidemment à lire ces éléments avec grande prudence. Les éléments suivants méritent une attention particulière.
Ainsi, si la CUA est polysémique dans les pratiques qu’elles laissent émerger, des enjeux transversaux ont pu être identifiés. Le choix laissé aux élèves interroge, tant dans sa légitimité parfois, que dans son implémentation in situ et dans les ressources des élèves pour en tirer profit. Nous pourrions envisager ici que l’école s’engage à développer des capabilités – au sens de possibilités effectives qu’une personne a de choisir ses modes de fonctionnement (Hart, 2012 ; Nussbaum, 2011) – et pas uniquement des connaissances et des compétences.
La CUA semble être une vision de l’éducation et de la formation avec des implications pratiques diverses et variées, ainsi qu’avec des éléments conceptuels relativement clairs : la pluralité de l’environnement d’apprentissage, les options et les choix pour responsabiliser les élèves, la distinction entre objectifs et tâches ou encore un intérêt central pour le développement de l’expertise d’apprendre. Si elle est une nième manière d’envisager le projet de l’école inclusive, elle se fonde sur des changements de paradigmes importants qui méritent d’interroger non seulement une organisation au sein de la classe, mais des structures et contraintes institutionnelles de l’école publique en général. C’est pour cela que la CUA ne doit pas être une simple reformulation du projet d’école inclusive. Dit autrement, il parait dangereux d’instrumentaliser le concept de CUA pour renouveler la demande au corps enseignant d’accueillir la diversité, sans opérer des changements institutionnels forts, rendant cela possible.
PD Dr Lionel Alvarez |
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En témoigne la consensus wikipédien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conception. ↑
« Structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux. Cette structure s’oppose à la hiérarchie en pyramide » selon https://fr.wikipedia.org/wiki/Rhizome_(philosophie) ↑
Consulter la matrice de la CUA ici : https://udlguidelines.cast.org/ ↑