DOI: https://doi.org/10.57161/r2024-03-00
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 14, 03/2024
À l’heure actuelle, l’hétérogénéité dans les classes est indéniable. Elle est probablement l’un des facteurs qui amène directement et indirectement une certaine charge pour le corps enseignant. La réponse à cette hétérogénéité peut-être de nature séparative ou intégrative. Les bases légales en Suisse et les conventions internationales sont claires. La volonté est d’aller vers un système le plus inclusif possible et plus généralement de rompre avec – rappelons-le – les politiques utilitariste et eugéniste du siècle dernier. Certains discours politiques de cet été m’ont semblé très clivants. Je pourrais les résumer ainsi : l’école inclusive ne fonctionne pas, il faut stopper le mouvement. Faire porter tous les maux de l’école d’aujourd’hui à l’inclusion, sachant que l’hétérogénéité est une composante fondamentale de la nature humaine, est un non-sens. Comme le relève le sondage du SER et de LCH sur la satisfaction professionnelle des enseignantes et enseignants, il existe un certain nombre de points de tension. Certains sont liés, d’une manière ou d’une autre, au constat de l’hétérogénéité dans la classe. D’autres sont probablement liées à des causes sociétales plus profondes. J’invite les politiciennes et politiciens qui souhaitent faire marche arrière à soutenir les différents acteurs de l’enseignement dans la résolution de ces points de tensions. En jetant le bébé avec l’eau du bain, comme certaines démarches politiques le proposent, consiste d’une part à dénier le travail des milliers de professionnelles et professionnels en Suisse qui s’engagent pour une société inclusive, et d’autre part à piétiner les conventions internationales dont la Suisse est signataire. La question n’est donc pas de se demander comment faire du particularisme avec les personnes qui seraient « trop hétérogènes », mais comment répondre à l’hétérogénéité naturelle en classe.
En Suisse, l’intervention des pédagogues spécialisés s’est petit à petit déplacée ou élargie avec le temps. Passant de prestations principalement fournies hors du système scolaire, dans des institutions spécialisées, à des pratiques actuelles, de plus en plus proches du coenseignement in situ, c’est-à-dire en classe régulière. Les méthodes intégratives pour répondre à l’hétérogénéité peuvent agir soit directement sur la personne soit indirectement, au niveau de la classe, auprès du corps enseignant ou encore de la famille. Alors que les mesures individuelles ont tendance à être relativement couteuses et ne bénéficient qu’à l’individu concerné, les mesures indirectes ont l’avantage de pouvoir potentiellement toucher un plus grand nombre de jeunes pour un cout humain et financier probablement équivalent. Non, ce n’est un appel à supprimer les mesures individuelles ! Elles resteront toujours indispensables dans certaines situations. C’est plutôt un appel à orienter et déplacer le curseur de plus en plus du côté des prestations indirectes.
Dans un premier temps, nous avions prévu de centrer ce dossier thématique sur les technologies d’aides (TA) et les difficultés d’apprentissage, qui sont typiquement de l’ordre de l’intervention directe, individuelle. Cependant, vu les diverses actualités, il nous a semblé plus intéressant de réorienter le dossier pour mettre l’accent sur des pratiques plus globales et pouvant bénéficier à l’ensemble du groupe classe. Ce dossier présente plusieurs éléments en lien principalement avec la conception universelle de l’apprentissage (CUA), un premier article de Alvarez définit justement ce concept relativement nouveau, l’article de Betrand et al. expose un dispositif visant à concevoir des supports pédagogiques en se basant sur la CUA. L’article de Rusconi & Gäng-Pacifico présente la traduction de l’UDL-OMT, un outil permettant d’observer et de mesurer la présence de la CUA dans les séquences d’enseignement. Le troisième article, écrit par Bacquelé se situe à mi-chemin et questionne comment introduire des aides numériques (mesures individuelles) dans le contexte de la classe. Le dernier article, coécrit avec ma collègue Géraldine Ayer, tente de situer la différenciation pédagogique, la CUA et l’accessibilité dans le contexte suisse.
Robin Morand |