Mise en pratique réussie du coenseignement à plein temps

Récit d’une enseignante spécialisée

Manon Vuffray

Résumé
Dans une école à visée inclusive, le coenseignement est une des modalités de soutien reconnues comme permettant de répondre aux besoins des élèves. Il s’agit ici de témoigner d’un projet de coenseignement à plein temps dans une classe régulière vaudoise de 6ème Harmos. Il a été mis en place à partir de la rentrée 2022 pour une classe de 27 élèves, dont 12 sont au bénéfice de mesures d’aide ordinaires. L’article décrit cette expérience, présente les raisons à l’origine du projet, explicite son fonctionnement et rapporte les perceptions des différentes parties prenantes. Les limites et les perspectives du projet sont également discutées.

Zusammenfassung
In einer Schule mit dem Ziel der Inklusion ist der Co-Teaching-Ansatz eine anerkannte Möglichkeit, um den Bedürfnissen der Schüler:innen gerecht zu werden. In diesem Beitrag wird berichtet über ein Vollzeit-Co-Teaching-Projekt in einer 6. Regelklasse (HarmoS). Es wurde ab dem Schuljahr 2022 für eine Waadtländer Klasse mit 27 Schülern eingeführt, von denen 12 in den Genuss von niederschwelligen sonderpädagogischen Massnahmen kommen. Der Artikel beschreibt die Erfahrungen, stellt die Gründe für das Projekt vor, erläutert seine Funktionsweise und berichtet über die Wahrnehmungen der verschiedenen Beteiligten. Ausserdem werden die Grenzen und Perspektiven des Projekts diskutiert.


Keywords: coenseignement, intégration, pédagogie différenciée, pratique pédagogique / differenzierender Unterricht, Integration, Teamteaching, Unterrichtspraxis

DOI: https://doi.org/10.57161/r2024-02-09

Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 14, 02/2024

Creative Common BY

Introduction

Les différentes réformes de l’enseignement en Suisse tendent vers un système plus inclusif, soit une école pour toutes et tous qui considère les besoins de chaque élève. Le système devrait ainsi viser à maximiser le potentiel intellectuel, physique et social des élèves dans un climat de classe qui soit non stigmatisant. Malheureusement, cet idéal semble encore loin d’être atteint. Le métier d’enseignant sans soutien de la part d’une tierce personne en classe devient de plus en plus complexe. En effet, gérer des situations d’élèves compliquées ainsi que remplir un cahier des charges à la perfection génère chez certaines enseignantes et enseignants de l’inquiétude et parfois de la frustration, avec un sentiment d’efficacité au plus bas (Benoit et al., 2019). Actuellement, les enseignantes et enseignants spécialisés interviennent ponctuellement à hauteur d’une à plusieurs périodes par semaine dans différentes classes, le temps nécessaire pour collaborer, se coordonner, échanger est conséquent. Dans ce cadre, comment offrir une éducation de qualité tout en respectant la diversité des besoins ? L’expérience de coenseignement sur une classe unique que je relate ici vise à offrir quelques pistes de réponse à ces questionnements.

Création du projet

Dans le cadre de ma formation, j’ai réalisé un stage d’observation à Lausanne dans une classe de 5-6ème Harmos qui fonctionnait en « double commande ». Soit, une enseignante régulière et un enseignant spécialisé qui donnaient cours simultanément dans la classe à plein temps. Ces deux jours d’observation m’ont été révélateurs et très enrichissants. L’ambiance de classe était bienveillante et les élèves se soutenaient et s’entraidaient, avec un réel travail de tutorat. Ce dispositif correspondait à mes attentes en allant dans le sens d’une école inclusive. C’est ainsi que l’idée de créer mon propre projet en coenseignement m’est venue à l’esprit. En effet, pour moi, changer de métier n’était pas la solution, mais changer certains paramètres de la profession, oui ! Le corps enseignant doit ajuster ses pratiques et l’école doit également s’adapter à la réalité du terrain en ayant recours à d’autres formes de dispositifs.

C’est donc en parallèle à mes études que j’ai décidé de mettre sur pied un tel projet de coenseignement. Après plusieurs ébauches et en regroupant tous les avantages, j’ai soumis l’idée de développer ce dispositif au directeur de mon établissement. Après plusieurs échanges et l’obtention de son accord, le projet a été planifié durant l’été 2022, avec l’aide de ma collègue enseignante régulière avec qui je coenseigne durant plus de 70 % des périodes. À la rentrée scolaire 2022-2023, nous avons donc accueilli dans notre classe 27 élèves dont 12 étaient au bénéfice de mesures ordinaires et certains d’un programme personnalisé (PP), en raison de leurs besoins (trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité, trouble des apprentissages ou encore difficultés de comportement).

Qu’est-ce que le coenseignement ?

Le coenseignement est défini par Friend et al. (2010) comme :

« un partenariat entre un enseignant régulier et un maitre spécialisé ou autre spécialiste. Le but étant d’enseigner conjointement, dans une classe régulière incluant des enfants en situation de handicap ou qui ont d’autres besoins particuliers. L’idée est de répondre à leurs besoins d’apprentissage de manière flexible et délibérée » (p. 11).

Ce dispositif permet d’offrir une certaine accessibilité au programme standard pour les élèves à besoins particuliers. Ces derniers peuvent profiter de cette aide supplémentaire sans mise à l’écart de l’élève, du fait que le corps enseignant régulier et spécialisé exerce ensemble au sein de la même classe pour répondre aux besoins de toutes et tous. En principe, cela devrait limiter la stigmatisation pour les élèves en situation de handicap (Benoit & Angelucci, 2011).

Définitions des rôles et des responsabilités

Afin de permettre une collaboration de qualité, une communication étroite au sein du binôme enseignant est indispensable. En outre, un tel fonctionnement implique une relation interdépendante. Friend et Cook (2010) font référence à la métaphore du « mariage » pour définir cette relation. D’ailleurs, lorsque nous avons présenté à notre ancien directeur notre projet et notre plan horaire où figuraient tous les moments de rencontres et d’échanges (voir Tableau 1), il nous a demandé si nous allions « prendre un appartement ensemble ». En effet, nous dédions beaucoup de temps à la préparation de nos cours et échangeons tous les jours au sujet de nos élèves afin de réajuster notre enseignement pour répondre spécifiquement à leurs besoins.

Tableau 1 : Grille horaire avec périodes de coenseignement et temps de collaboration.

Lundi

Mardi

Mercredi

Jeudi

Vendredi

07h30 – 08h25

Temps de préparation

Temps de préparation

Temps de préparation

Temps de préparation

08h25 – 09h18

Expression orale

Conjugaison

Histoire

Grammaire

Devoirs

09h20 – 10h03

Compréhension orale et écrite

Numération

Histoire

Allemand

Français

10h22 – 11h10

Expression écrite

Géographie

Dessin

Sciences

Vocabulaire

11h10 – 11h55

Expression écrite

Calculs

Dessin

Problèmes

Numération

12h00 – 12h30

12h30 – 13h30

Temps de préparation

Temps de préparation

Temps de préparation

Temps de préparation

13h45 – 14h30

Orthographe

Piscine / Géométrie

EPS 

ACM / ACT

14h30 – 15h20

Musique

Piscine / Allemand

EPS

ACM / ACT

15h30 – 17h30

Temps de préparation

Temps de préparation

Temps de préparation

Légende.

Temps de préparation, discussion ou d’entretiens. Ce temps est aussi utilisé comme temps de préparation individuel.

Coenseignement (2 enseignantes)

Une enseignante + une aide à l’intégration

Trouver nos marques dans notre manière d’enseigner, de gérer la classe et aussi de fonctionner nous a pris du temps. Au début, nous devions souvent réadapter certains éléments, redéfinir des règles de discipline, adopter le même discours auprès de nos élèves. Nous cherchions à être le plus « juste » possible et éviter certaines injustices qui auraient pu être des facteurs déclenchants de crises pour nos élèves. Au demeurant, nos élèves ont également dû s’habituer à évoluer dans un nouvel environnement avec deux enseignantes. Après quelques mois d’adaptation, la classe fonctionne relativement bien et j’ai retrouvé la motivation et surtout le plaisir d’enseigner !

Nos rôles se sont définis de façon naturelle et spontanée, c’est une chance de s’être trouvées. Notre duo est très complémentaire, puisque nous sommes différentes sur plusieurs points tels que l’organisation et la gestion de classe, mais nous nous complétons et apportons notre touche personnelle au sein de notre classe. Je dirais que c’est une richesse et une plus-value de notre binôme. Ainsi, nous nous partageons les tâches en fonction de nos compétences et motivations. Ma collègue porte la casquette de l’enseignante ordinaire en gérant la totalité du programme des apprentissages. Quant à moi, je porte celle de l’enseignante spécialisée en m’occupant de tout ce qui a trait aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Il s’agit de tâches telles que la rédaction des programmes personnalisés, l’organisation du réseau, la collaboration avec les professionnelles et professionnels qui gravitent autour des élèves, la participation à la procédure d’évaluation standardisée (PES) ou encore l’adaptation des tâches et des évaluations en fonction des besoins spécifiques des élèves.

Dès le départ, nous avons convenu de gérer tous les entretiens de parents ensemble. Ceci nous permet d’être beaucoup plus objectives et aussi d’avoir un meilleur sentiment d’efficacité. Il est nécessaire de préparer cette activité en amont pour définir convenablement nos rôles durant les entretiens. Une prend des notes pendant que l’autre relate les observations communes au sujet de l’enfant concerné. Des difficultés qui confrontent l’accessibilité

Les différents modèles de coenseignement

Friend et Cook (2013) distinguent six modèles de coenseignement, chacun avec leurs avantages et leurs limites (voir Tableau 2)

Tableau 2 : Modèles de co-enseignement

Modèle

Description

Avantages

Limites

Par observation

Une enseigne, une observe

Observations plus fines et spécifiques des élèves

Plus faible différenciation

Par
complémentarité

Un enseigne, simultanément l’autre apporte un soutien aux élèves individuellement

Permet d’identifier aisément les élèves qui rencontrent des difficultés

Plus faible différenciation

Par ateliers

Responsabilité de planification et d’enseignement partagé.

Permet de concilier des approches d’enseignement largement différentes

Différenciation importante

Permet de s’adapter à la vitesse des élèves

Taille du groupe restreint

Nécessaire de connaître précisément les besoins des élèves

Temps de planification

Nécessite idéalement deux salles distinctes

En parallèle

Responsabilité de planification et d’enseignement divisé.

Permet de concilier des approches d’enseignement largement différentes

Taille du groupe restreint

Nécessaire de connaître précisément les besoins des élèves

Alternatif

Responsabilité de planification et d’enseignement divisé.

Un grand groupe et un petit groupe remédiation

Permet d’agir sur des difficultés spécifiques

Différenciation importante

Séparation du groupe

En équipe
(ou partagé)

Responsabilités et rôles partagés. Alternance fréquente et indifférenciée des rôles (observe, enseigne, soutien, discipline)

Dynamismes

Richesse d’observation

Différenciation permanente

Planification plus complexe

Nécessite de l’expérience dans le coenseignement

Note. Tableau inspiré de Tremblay (2015)

Le premier modèle est celui par observation où un des membres du binôme enseignant transmet le savoir et l’autre observe attentivement certains processus spécifiques afin de mieux comprendre le fonctionnement social et scolaire des élèves.

Le second modèle est celui par complémentarité, qui se pratique quand l’une ou l’un des deux enseignants donne son cours et l’autre se déplace dans les rangs pour fournir un soutien plus spécifique aux élèves qui en ont besoin. Ce modèle de coenseignement est très exploité dans notre projet. Par ailleurs, nous avons réfléchi à une organisation spatiale différente pour notre classe avec un bureau à l’avant et un à l’arrière. En plus de nombreux avantages, cette configuration permet d’opter facilement pour le modèle par complémentarité et d’identifier aisément les élèves qui rencontrent des difficultés.

Le troisième modèle, que nous exploitons lorsqu’il faut revoir certaines notions ou consolider des apprentissages de base, est celui par ateliers. Il s’exerce quand les deux personnes du binôme animent chacune un atelier dans la classe avec des contenus différents à un petit groupe d’élèves. Ces petits moments sont très utiles lorsque certains élèves prennent plus de temps pour assimiler divers apprentissages. Pendant ce temps-là, le restant de la classe peut travailler d’autres éléments ou alors augmenter la complexité de certaines tâches. Grâce aussi à ce dispositif, nous pouvons différencier l’apprentissage dans les deux sens. Il s’agit d’un atout indéniable, puisque nous pouvons proposer des tâches dont le niveau d’exigence se rapproche le plus possible des compétences et des capacités de chaque élève.

Le quatrième modèle est celui en parallèle, utilisé lorsque la classe est séparée en deux. Les enseignantes ou enseignants ont une partie de la classe à qui ils enseignent le même contenu, mais d’une façon potentiellement différente. Lors des dictées, par exemple, certains élèves ont moins de mots à apprendre, mais le thème identique pour toute la classe. C’est pourquoi nous sommes amenées à séparer la classe en deux et nous évaluons en fonction du niveau de chacune et chacun. Cette dynamique offre un avantage : si un enfant ressent le besoin d’être dans un environnement plus calme, notamment des élèves avec un TDAH, nous pouvons lui proposer de réaliser sa dictée à un autre moment dans la journée ou par exemple sortir de la classe et ainsi profiter d’un espace plus serein.

Le cinquième modèle est alternatif. Il s’effectue quand un membre du binôme travaille avec la majorité du groupe-classe et l’autre auprès d’un plus petit groupe. Ce modèle nous est très familier, surtout lors des leçons d’allemand. Par exemple, ma collègue donne son cours sur les parties du corps et pendant ce temps, je gère un plus petit groupe d’élèves en difficulté autour d’une table, où ils doivent associer les photos de partie du corps au mot correspondant.

Le dernier modèle est en équipe et se pratique lorsque les deux enseignantes ou enseignants dispensent en même temps le cours à toute la classe. Nous l’appliquons fréquemment lors des moments collectifs afin d’obtenir l’attention de tous les élèves. Ce modèle nous offre la possibilité de nous mettre davantage en scène, avec des jeux de rôles que l’on réalise de temps en temps devant les élèves. Ces derniers apprécient particulièrement ces moments lors desquels nous enseignons en même temps devant eux.

Lors de la préparation de nos leçons, nous réfléchissons en amont au modèle que nous utilisons pour chaque activité (Friend & Cook, 2010). En effet, il est essentiel de varier non seulement les rôles des enseignantes et enseignants, mais aussi les modèles (Benoit & Angelucci, 2016). C’est pourquoi nous nous répartissons de manière équitable les branches à enseigner et nous aidons toutes et tous les élèves d’une façon spontanée. Rien n’est figé. De plus, coenseigner à temps plein permet d’offrir une plus grande variété de dispositifs de différenciation pédagogique (Leclerc, 2020). Notamment, lorsque nous travaillons la compréhension de texte, nous proposons trois niveaux différents de lecture, mais sans changer le contexte de l’histoire.

Perceptions des parents et des élèves

Lors de notre première soirée de parents, nous étions confrontées à plusieurs inquiétudes de leur part. Leur anxiété était liée au programme scolaire, craignant que leur enfant prenne du retard et que le climat de classe soit trop bruyant. Face à ces diverses inquiétudes et les remises en question de notre dispositif, nous les avons rassurés en expliquant notre fonctionnement avec des situations concrètes. Pour ce faire, nous avons créé une présentation, avec les élèves, sous la forme d’un petit film dans lequel étaient interviewés des élèves, les enseignantes et des parents volontaires. Les témoignages des parents et des élèves ont été touchants et revendicateurs. Une maman nous a fait part de son inquiétude, qui s’est tout de suite estompée dès notre première rencontre.

Elle raconte :

« Au début j’avais des doutes, car on a reçu une lettre peu explicite du projet, que 27 élèves, ça faisait un peu trop. Surtout pour le bruit, la concentration des élèves. Mais après un mois, j’ai connu les maitresses et je me suis dit c’est super. On a la chance d’avoir deux enseignantes dans la classe et chaque élève peut suivre le programme selon ses besoins ».

D’autres parents étaient plus confiants, nous communiquant notamment leur satisfaction lors de l’interview. C’est le cas d’une maman qui explique :

« J’aime beaucoup cette idée, surtout quand des enfants se sentent moins à l’aise dans le programme scolaire standard. Ils se sentent moins seuls, moins marginalisés en constatant que d’autres doivent eux aussi composer avec ça et trouver des moyens d’avancer et de s’intégrer au groupe. C’est aussi intéressant pour les élèves qui n’ont pas de problèmes dans le système scolaire standard. Ça leur permet de voir que ce n’est pas le cas de tous et que chacun a des forces et des faiblesses. Je pense que c’est une grande chance de pouvoir apprendre si tôt certaines notions de tolérance et de capacités à comprendre l’autre ».

Le coenseignement offre plusieurs avantages, que ce soit pour les élèves ou les enseignantes et enseignants. Grâce à ce dispositif, nous constatons que nous avons réellement plus de temps à offrir à nos élèves, en raison du ratio élève-enseignant divisé par deux (Friend & Cook, 2007). Nous identifions leurs besoins plus rapidement, de manière plus spécifique et ciblée (Benoit & Angelucci, 2011). Nous sommes également plus disponibles pour nos élèves (Janin & Couvert, 2020).

Piloter une classe dans une école à visée inclusive peut paraitre difficile si on est seule au front. À deux, on peut gérer « les situations de crise » sans avoir à interrompre le cours. En effet, j’ai remarqué que durant ces deux années de coenseignement, je me suis sentie plus en confiance dans mon métier. Le fait de pouvoir partager au quotidien les phases de doutes ou de remises en question soulage énormément. Être à deux donne un certain poids et nous permet aussi d’améliorer l’estime de soi et notre sentiment d’efficacité personnel (Janin & Couvert, 2020). De plus, les élèves bénéficient ainsi de méthodes, d’approches et de stratégies différentes (Benoit & Angelucci, 2011).

Lors de la création du petit film à l’intention des parents, les élèves ont rédigé eux-mêmes leurs questions et réponses. Les élèves disent recevoir plus d’aide et d’accompagnement de la part de leurs enseignantes grâce à un enseignement différencié. Une élève relatait par exemple que la présence de deux « maitresses » est bénéfique, car cela permet « de mieux s’occuper de nous, elles nous aident pour les tests et les dictées ». Pour une autre élève, avoir deux enseignantes joue aussi un rôle sur le comportement des élèves : « avant, dans notre ancienne classe, un de nos camarades ne se comportait pas très bien. Maintenant, c’est mieux ».

Limites et perspectives

Janin et Couvert (2020) répertorient trois principales limites relevées par les participantes et participants à leur étude : 1) le manque de temps commun pour la préparation de séance, 2) l’augmentation du temps de préparation et 3) le bruit plus élevé dans la classe.

Les deux premières limites ne s’appliquent pas à notre classe, du fait que l’on enseigne à plein temps ensemble et que nous avons défini dès le départ des temps de préparation en commun. Le fait d’être ainsi deux sur la même classe, plutôt que le modèle « classique » de la ou du spécialiste itinérant sur plusieurs classes permet probablement d’être plus efficace en termes de coordination, d’échange et d’intervention auprès des élèves. Mes observations sont plus fines, je suis donc plus objective par rapport aux élèves. Je les observe tous les jours et je les vois évoluer pour chaque discipline ce qui est souvent impossible lorsque nous sommes itinérants. Être constamment avec eux me permet de répondre spécifiquement à leurs besoins et de réguler mon enseignement en permanence.

Lors des réseaux, je décris l’élève dans sa « globalité ». Ainsi, la rédaction des programmes personnalisés est facilitée en sachant pertinemment quels sont les adaptations et aménagements à faire pour chaque élève.

Concernant le bruit en classe, il était difficile, lors des premiers mois, d’instaurer le silence complet. Il nous a fallu un temps d’adaptation pour arriver à un climat de travail convenable. Avec 27 élèves, nous avons dû renforcer l’encadrement et nous montrer plus exigeantes pour limiter les nuisances sonores. Après une année, nous réalisons que les élèves sont très respectueuses et respectueux et évoluent dans un environnement calme.

À ce stade, la limite du coenseignement semble se trouver encore au niveau des ressources humaines et financières. Le directeur de l’établissement précise que la « démultiplication » de ce type de classe reste compliquée, avec un corps enseignant spécialisé rare et un budget limité. Notre projet a pu voir le jour, car le directeur soutient notre projet et a fait un choix dans la répartition des ressources pour que notre classe puisse exister.

Au vu de mon expérience, le coenseignement est un réel moyen de répondre aux besoins de chaque élève dans une visée inclusive. En plus d’être reconnu comme une pratique efficace et pertinente par les études citées dans cet article, c’est aussi l’orientation souhaitée par le canton de Vaud dans le cadre du concept 360 : « le co-enseignement devrait être préféré à la mise en place d’une classe séparative. En effet, il peut répondre tant à des besoins relevant du champ de la pédagogie régulière, de la pédagogie spécialisée, du socioéducatif que de l’allophonie » (Canton de Vaud, 2019, p.31) J’invite donc les enseignantes et enseignants ainsi que les directions à faire part de créativité et à imaginer des projets qui répondent aux besoins de leurs élèves, selon leur contexte et leurs possibilités. Si les ressources financières sont limitées, la créativité ne l’est pas. C’est en sortant de nos habitus professionnels et en osant proposer de nouveaux dispositifs que l’opérationnalisation des injonctions politicolégales actuelles pourra, en grande partie, se faire.

Autrice

Manon Vuffray
Enseignante spécialisée
Canton de Vaud
manon.vuffray@edu-vd.ch

Références

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Friend, M., & Cook, L. (2007). Co-teaching. Interactions: collaboration skills for professionals (3e éd.). Pearson.

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Friend, M., Cook, L., Hurley-Chamberlain, D., & Shamberger, C. (2010). Co-Teaching: An illustration of the complexity of collaboration in special education. Journal of Educational and Psychological Consultation, 20(1), 9-27. https://doi.org/10.1080/10474410903535380

Janin M. & Couvert, D. (2020). Le coenseignement : bénéfices, limites et importance de la formation. Education et francophonie, 48(2), 200-219. https://doi.org/10.7202/1075042ar

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