Ecoute Voir, une association au service de l’inclusion depuis bientôt 10 ans
Résumé
Les théâtres romands sont trop peu accessibles pour les personnes en situation de handicap visuel ou auditif. Afin de pallier cette lacune, l’association Ecoute Voir a été fondée en 2014. Dans le cadre de sa mission, audiodescriptrices et audiodescripteurs, interprètes en langue des signes ainsi que surtitreuses et surtitreurs mobilisent des compétences particulières. En bientôt 10 ans, l’association a organisé plus de 400 prestations d’accessibilité. étant donné son expérience dans ce domaine, elle est souvent consultée par les collectivités publiques et les institutions culturelles. Cet article présente ces métiers et les compétences requises pour rendre les spectacles accessibles, ainsi que l’expérience de l’association Ecoute Voir.
Zusammenfassung
Die Theater in der Westschweiz sind für Menschen mit einer Seh- oder Hörbehinderung zu wenig zugänglich. Um dieses Versäumnis zu beheben, wurde im Jahr 2014 der Verein «Ecoute Voir» gegründet. In seinem Auftrag arbeiten Audiodeskriptor:innen, Gebärdensprachdolmetscher:innen und Untertitelsetzer:innen mit spezifischen Qualifikationen. In fast zehn Jahren hat der Verein mehr als 400 Leistungen für die Barrierefreiheit organisiert. Aufgrund der Erfahrungen in diesem Bereich wird der Verein häufig von öffentlichen Behörden und kulturellen Einrichtungen aufgesucht. In diesem Artikel werden die Berufe und die für barrierefreie Aufführungen erforderlichen Kompetenzen sowie die Erfahrungen des Vereins «Ecoute Voir» vorgestellt.
Keywords: accessibilité, déficience visuelle, langue des signes, surdité, théâtre, / Barrierefreiheit, Gebärdensprache, Hörbehinderung, Sehbeeinträchtigung, Theater
DOI: https://doi.org/10.57161/r2024-02-03
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 14, 02/2024
Tels des funambules en équilibre sur le fil du débit des paroles, les audiodescriptrices et audiodescripteurs glissent habilement les descriptions des éléments visuels entre les propos des comédiennes et comédiens. Lors d’une représentation théâtrale ou de danse, ces professionnelles et professionnels se situent dans un local et décrivent à haute voix le spectacle en direct. Une caméra placée en salle leur permet de suivre la pièce. Du micro au casque audio, la magie du spectacle opère également pour les personnes en situation de handicap visuel. De leur côté, interprètes en langue des signes française (LSF) ainsi que surtitreuses et surtitreurs exercent leur pratique au service d’un public sourd et malentendant.
Le but ultime de ces métiers : rendre les arts vivants accessibles à tout le monde, car c’est un devoir pour la collectivité publique. Le droit fondamental à la non-discrimination (y compris pour les personnes en situation de handicap sensoriel) est indiqué à l’article 8 de la Constitution (Cst.) depuis 1999. Il a été mis en place dans la Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand) en 2004 et est entré en vigueur en Suisse en 2014 après que le pays a ratifié la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Cependant, il s’agit malheureusement d’un devoir trop souvent ignoré. En Suisse, plus de 10 % de la population souffre d’un handicap partiel ou total de la vue ou de l’ouïe. C’est dans un tel contexte que le Projet Sourds&Culture et l’association Ecoute Voir se sont développés dès 2013, impliquant ou formant des personnes qualifiées pour exercer des métiers spécifiques dans l’ombre de la scène, mais dans la lumière de l’accessibilité. Ces deux structures ont fusionné en 2020.
2013 | Création du Projet Sourds&Culture, afin de mettre en place l’accessibilité au théâtre pour les sourdes signantes (LSF) et les sourds signants (LSF). |
2014 | Création de l’association Ecoute Voir pour le public en situation de handicap sensoriel. Organisation d’audiodescriptions de théâtre et d’opéra pour les personnes malvoyantes et aveugles. |
2015 | Rapprochement Projet Sourds&Culture et Ecoute Voir. |
2018 | Projet Sourds&Culture et Ecoute Voir sont les premiers prestataires de service romand à se voir décerner le label « Culture inclusive » par Pro Infirmis. |
2019 | Nouvelle mesure d’accessibilité proposée par Ecoute Voir : le surtitrage pour le public malentendant et sourd. |
2020 | Fusion Projet Sourds&Culture et Ecoute Voir. |
2021 | Première audiodescription de danse. |
2024 | 10 ans d’Ecoute Voir. |
Pour proposer une interprétation en langue de signes de qualité lors de pièces de théâtre ou de concerts, une importante préparation en amont est essentielle. Une minute de spectacle équivaut à une heure de travail. L’interprète travaille dans un premier temps sur la traduction du texte transmis par la compagnie. Cette personne travaille aussi en binôme avec une professionnelle sourde signante (LSF) ou un professionnel sourd signant (LSF). Afin que l’interprète puisse adapter sa traduction en fonction des intentions de jeu, il est important qu’elle ou il ait pu assister à des répétitions, observé les comédiennes et comédiens, leurs déplacements sur scène et leurs interactions. L’emplacement de l’interprète sur scène doit être convenu avec la metteuse en scène ou le metteur en scène. Un éclairage spécifique est prévu. Celui-ci doit rendre visible l’interprète tout au long de la représentation sans impacter négativement le spectacle.
Pour les concerts, les interprètes doivent beaucoup répéter afin que leur traduction soit en rythme avec la musique. Cette prestation est proposée dès 2015. Depuis deux saisons, des interprètes entendantes et des traductrices sourdes collaborent en binôme lors des concerts, ce qui modifie la manière de travailler et requiert également un important travail en duo. Les interprètes se positionnent en avant-scène dans le public. Elles indiquent aux traductrices sourdes placées sur scène, la cadence, le début de certains couplets ou des mots-clés. Le public sourd apprécie beaucoup que des traductrices sourdes soient sur scène, car la langue des signes est leur langue maternelle.
L’interprète doit à la fois être autonome dans son travail de préparation des pièces de théâtre et collaborer avec les équipes artistiques. « Certains spectacles se basent sur une écriture de plateau et leur texte se modifie encore jusqu’aux premières représentations. Il faut donc savoir faire preuve de souplesse »[1] déclare Anne-Claude Prélaz Girod, interprète en langue des signes et co-directrice d’Ecoute Voir. Lors de nouvelles collaborations, l’interprète doit prendre le temps de décrire aux artistes et aux lieux de création les conditions de travail nécessaires à une prestation de qualité (présence aux répétitions, éclairage, emplacement, etc.) tout en respectant le travail artistique et en faisant preuve de discrétion.
Il n’existe pas de formation spécifique à l’interprétation théâtrale. L’association Ecoute Voir travaille avec des professionnelles et professionnels reconnus par l’Association Romande des Interprètes en Langue des Signes (ARILS). Les compétences de base sont donc celles des interprètes en langue des signes qui, dans ce contexte, se forment alors sur le tas à cette pratique particulière.
Le terme « surtitrage » désigne un texte abrégé qui défile la plupart du temps sur un panneau ou un écran placé au-dessus de la scène. Il arrive aussi qu’il soit proposé sur des tablettes. Les dialogues des comédiennes et comédiens sont résumés, les bruits et mélodies sont retranscrits. Seuls 30 % du texte intégral demeure. La surtitreuse ou le surtitreur s’occupe de faire défiler les surtitres en direct et au bon rythme depuis la régie. Cette technique permet au public en situation de handicap auditif d’assister à une représentation théâtrale comme tout le monde.
Le défi est que ces personnes puissent suivre la pièce et le surtitrage de manière confortable et simultanée. « Il ne faut pas que la lecture accapare l’attention du public au détriment du reste », avertit la surtitreuse Dòra Kapusta. D’autant plus que le temps de parole est plus rapide que le temps de lecture. Sa consœur Olga Timofeeva renchérit : « Une des difficultés est le juste milieu : jusqu’où couper et jusqu’à quel point transmettre le texte original ? Le surtitrage dont une personne va profiter en jetant un coup d’œil de temps en temps et celui qu’une personne va suivre pendant deux heures ne sont pas pareils. »
De manière générale, pour une heure de spectacle, il faut prévoir environ deux semaines de travail. Un effort conséquent est donc réalisé en amont pour découper le texte et le retranscrire. Ce dernier peut également être traduit dans une autre langue afin de permettre au public allophone d’assister à la pièce, ou aux francophones de voir une pièce étrangère, mais ce service de traduction est à la charge des théâtres ; Ecoute Voir s’occupant uniquement de l’accessibilité pour le public malentendant et sourd.
Pour réaliser le surtitrage, le texte et la captation d’une pièce de théâtre sont fournis en avance. On utilise le code de référence des surtitres[2] et on retranscrit en fonction de celui-ci. Avoir des connaissances dramaturgiques, savoir synthétiser un texte, connaitre les synonymes et maitriser l’orthographe font partie des principales compétences mobilisées ici. La patience et le sang-froid sont d’autres qualités indispensables. En effet, lors des représentations, il faut savoir gérer les répliques inversées ou les blancs des artistes – des situations inattendues qui se présentent parfois. Dans ce cas, leur principal appui est celui du « shutter », un bouton à enclencher afin d’obstruer la projection jusqu’à ce que la comédienne ou le comédien retrouve la réplique.
Il n’y en a aucune. « C’est en forgeant que l’on devient forgeron », dit-on. Cette expression est ici particulièrement indiquée. Seuls les manuels d’autodidactes et la pratique, bien sûr, permettent de pallier cette lacune.