Représentations du monde professionnel chez les élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier

Dispositifs d’une structure Transition École Métier pour faciliter cette étape

Sylvain Périchon

Résumé
Plusieurs dispositifs favorisent la transition école-métier des jeunes bénéficiant d’un soutien éducatif particulier. Par exemple, le stage en entreprise facilite la découverte et l’amélioration des représentations du monde du travail. Plus ces expériences se multiplient, plus elles sont efficaces. Cependant, ces stages sont parfois des situations délicates pour des élèves rencontrant des difficultés plus soutenues. Cet article s’intéresse à un dispositif original, développé par une structure Transition École Métier, reposant sur un projet artistique. Il permet de répond aux besoins des élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier en offrant une entrée en douceur dans la représentation du monde professionnel.

Zusammenfassung
Mehrere Massnahmen fördern den Übergang von der Schule in den Beruf für Jugendliche mit besonderem Bildungsbedarf. Beispielsweise erleichtert ein Praktikum in einem Unternehmen das Kennenlernen und verbessert die Vorstellungen von der Arbeitswelt. Je häufiger diese Erfahrungen gemacht werden, desto wirksamer sind sie. Allerdings sind die Praktika manchmal heikle Situationen für Schüler:innen mit grösseren Schwierigkeiten. Dieser Artikel befasst sich mit einer originellen Massnahme, die von einer Struktur «Übergang Schule Beruf» entwickelt wurde und auf einem Kunstprojekt beruht. Das Projekt ist eine Antwort auf die Bedürfnisse von Lernenden mit besonderem Bildungsbedarf und bietet einen sanften Einstieg in die Berufswelt.

Keywords: activité artistique, besoins éducatifs particuliers, représentation mentale, stage d’orientation ou d’observation, transition degré secondaire I – degré secondaire II / besonderer Bildungsbedarf, künstlerische Betätigung, mentale Repräsentation, Schnupperlehre, Übergang Sekundarstufe I – Sekundarstufe II

DOI: https://doi.org/10.57161/r2024-01-04

Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 14, 01/2024

Creative Common BY

Introduction

Les points de vigilance pour accompagner favorablement les élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier lors de leur transition école travail sont de différentes natures, telles que la gestion du stress, les caractéristiques scolaires et psychosociales (Masdonati & Massoudi, 2012). Un des nombreux défis consiste à favoriser des représentations du monde professionnel qui soient le plus proche possible de la réalité, car elles permettent de faire des choix judicieux et de préciser son projet de formation. Chez les élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier, les représentations du monde professionnel sont souvent incomplètes, erronées, voire absentes. Il devient alors difficile pour ces élèves de réussir leur transition école-métier. Par ailleurs, des représentations erronées du monde du travail peuvent conduire à une anxiété élevée et à des réactions contreproductives comme l’évitement ou la démotivation (Mallet, 1999). Néanmoins, peu d’ouvrages s’intéressent à l’efficacité des dispositifs favorisant une meilleure représentation du monde professionnel et par conséquent une meilleure transition école-métier.

Abric (2003) indique qu’une représentation « n’est pas un simple reflet de la réalité » (p.14), mais qu’elle s’appuie autant sur des données objectives que sur des expériences antérieures, des normes et des valeurs. La représentation est donc un processus complexe dont une part repose sur des éléments subjectifs, dont le vécu et l’entourage de l’élève. Cette subjectivité conduit à des représentations éloignées de la réalité du monde professionnel. Il devient alors compliqué d’opérer une transition efficace entre la fin de la scolarité obligatoire et l’entrée dans le monde professionnel.

Transition école-métier

Le concept de transition peut prendre plusieurs significations. D’un point de vue étymologique, transition vient du latin transitio signifiant passage. Retenons celle qui peut être comprise comme un passage dans lequel l’individu accède à la vie active en développant des stratégies d’adaptation et en intégrant des processus (Tapia, 2001). Par ailleurs, comme l’indiquent Guichard et Huteau, la transition est « un changement marquant la vie de l’individu, l’affectant » (2007, p. 427). La transition école-métier n’est pas seulement un processus et une période de la vie, mais elle renvoie également aux moyens mis en œuvre pour accompagner les élèves à intégrer la formation professionnelle. En effet, la période de transition école-métier est aussi celle de nombreux changements pour les jeunes. Elles et ils quittent le monde de l’enfance et de l’adolescence et entrent progressivement dans la vie adulte. Le corps est la première manifestation de ce passage, mais de nombreux bouleversements internes, physiologiques et psychologiques interviennent également. Si la transition école-métier est un véritable challenge en soi, elle s’accompagne de nombreux autres défis non moins complexes pour des élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier. Les mesures de transition école-métier peuvent alors apporter un véritable soutien lors de ce passage dans le monde professionnel.

De plus, une bonne transition école-métier implique d’atteindre un équilibre professionnel durable. Masdonati et Massoudi détaillent les trois étapes du processus de socialisation professionnelle (2012, p. 15) :

Dans une mesure de transition école-métier, l’enseignante ou l’enseignant spécialisé interviendra essentiellement sur la première étape du processus de socialisation professionnelle en aidant l’élève à anticiper, à se faire une idée plus précise du domaine professionnel choisi.

En Suisse, il existe de nombreux dispositifs destinés aux élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier en fin de scolarité obligatoire pour les accompagner dans la transition école-métier, pour les aider à intégrer une formation professionnelle et finalement à entrer dans la vie active. Dans le canton de Vaud, les structures Transition école métier (TEM) existantes offrent une réponse adaptée à ces élèves ayant des besoins éducatifs particuliers. Elles font office de passerelle entre la fin de la scolarité obligatoire et l’entrée dans la formation professionnelle.

Structures Transition École Métier

Les structures TEM proposent une alternance entre cours théoriques et formation pratique. Par ailleurs, ces services proposent aux jeunes de nombreux dispositifs préparant à l’intégration d’un centre de formation professionnelle et favorisant les représentations du monde du travail.

La recherche donne peu d’informations sur des pistes concrètes qui favoriseraient la transition école-métier. Elle ne s’est pas plus intéressée à étudier l’efficacité de ces pistes. Dès lors, cet article s’attèle à évaluer l’efficacité de certains dispositifs soutenant la construction de représentations du monde professionnel mis en place par une structure TEM de la région lausannoise. Lorsqu’on évoque la transition école-métier, les stages en entreprise paraissent incontournables. Or quel est leur impact sur l’évolution des représentations du monde professionnel ? Outre les stages, des dispositifs originaux et artistiques permettent aux élèves de faire évoluer leurs représentations du monde du travail et ainsi mieux les préparer à débuter une formation.

Stages en entreprise et évolution des représentations

Une structure TEM de la région lausannoise propose de nombreux ateliers pratiques aux élèves se préparant à intégrer une formation professionnelle. Ces ateliers permettent de travailler des compétences pratiques et professionnelles comme l’autonomie, la collaboration, le rythme de travail et la précision. Toutefois, ces ateliers ne suffisent pas à se représenter les véritables exigences du monde du travail, car ils constituent une version aménagée et édulcorée du monde professionnel répondant ainsi aux besoins spécifiques des élèves en cours de formation. En conséquence, il leur est donc proposé de faire des stages en entreprise afin de découvrir la réalité d’un métier.

Si le dispositif du stage en entreprise semble payant dans le processus de transition école-métier, une étude de l’Office cantonal d’orientation scolaire et professionnelle (OCOSP) montre que près de 40 % des jeunes issus de l’enseignement spécialisé n’ont pas effectué de stage au sortir de la scolarité obligatoire (Statistique Vaud, 2016, p. 3). Dans la structure TEM présentée dans cet article, la proportion est inférieure. En effet les élèves ont fait deux années de scolarité postobligatoire et ont pu réaliser des stages. Toutefois, il faut considérer la difficulté pour des jeunes bénéficiant d’un soutien pédagogique à réaliser un stage d’une semaine dans un contexte nouveau. Cependant, ces stages d’observation de courte durée jouent un rôle prépondérant dans le processus d’entrée en formation professionnelle. L’accompagnement que proposent les professionnelles et professionnels (enseignantes et enseignants, maitresse et maitres socioprofessionnels, psychologues) est déterminant dans le processus de recherche, d’organisation et de suivi d’un stage. Padiglia (2007) souligne que les élèves en difficulté n’ont pas besoin davantage de temps d’école, mais d’une école plus « professionnelle » les formant au monde de l’entreprise. Le dispositif du stage en entreprise semble donc tout indiqué pour préparer les jeunes à l’entrée dans la vie active.

Une recherche a récemment été menée dans une structure TEM pour étudier dans quelle mesure ces stages permettent une évolution des représentations du contexte professionnel. Dans cette étude, Balli (2023) a proposé un questionnaire à soixante-trois participantes et participants ainsi que des entretiens à huit élèves. Il a ainsi pu mesurer l’évolution des représentations du monde professionnel avant et après la réalisation d’un ou plusieurs stages. Le questionnaire montre que pour 98,4 % des élèves, le stage en entreprise est utile pour se faire une idée du contexte socioprofessionnel. Ce taux très élevé démontre chez les élèves une certaine lucidité quant à l’utilité des stages, en particulier pour se faire une idée précise d’un métier visé ou espéré. Le stage répond également à une certaine curiosité et à l’envie de découvrir. Pour les élèves questionnés, les stages ont donc une véritable fonction. Il permet une meilleure représentation du monde du travail, de savoir ce qui les attend après l’école et la formation. Les stages lèvent des inconnues, encouragent des vocations, réveillent les consciences, réduisent les angoisses. Toutefois, cette perception positive du stage en entreprise est à mettre en perspective. En effet, le questionnaire indique que près d’un élève sur deux pense être prêt à entrer dans le monde du travail après un seul stage. Est-ce qu’un seul stage est suffisant pour avoir une représentation objective du monde professionnel ? Il est permis d’en douter. Ce taux démontre qu’un bon nombre d’élèves ayant participé à la recherche ont une vision partielle de ce que représente la vie active. Un seul stage ne semble pas être suffisant pour se préparer à une bonne transition école-métier. L’OCOSP indique que les jeunes qui suivent un parcours de transition école-métier réalisent davantage de stages en entreprise que celles et ceux qui s’orientent vers une filière gymnasiale (Numérus, 2016, p. 3).

Les entretiens semi-dirigés de la recherche de Balli (2023) donnent un autre regard sur l’apport des stages. Trois élèves sur sept interrogés affirment que les stages réalisés leur ont été utiles pour étendre leur vision du monde professionnel. Malgré la réalisation d’un stage, un élève se dit encore très partagé et deux élèves reconnaissent avoir encore une idée floue après le stage. Enfin, deux élèves n’ont pas réalisé de stage et avouent leur ignorance du monde du travail. Étant donné la faible taille de l’échantillon, il est difficile de généraliser ou d’arriver à de solides conclusions. Néanmoins, l’analyse détaillée des entretiens révèle que celles et ceux qui ont effectué plusieurs stages ont des connaissances assez précises du métier découvert. La multiplicité des expériences de stage semble donc un dispositif efficace pour favoriser de bonnes représentations du monde professionnel. En outre, il faut noter que la question du salaire est une attente primordiale pour l’ensemble des jeunes ayant participé à la recherche de Balli (2023). Ces résultats vont dans le sens de ceux mentionnés dans d’autres recherches proches du contexte présenté (Flament, 2007 ; Rousseau et al., 2012). Ainsi, Rousseau et al. (2012) ont mis en évidence que parmi les attentes de jeunes ayant des besoins éducatifs particuliers, la rémunération est vue comme un moyen d’améliorer sa qualité de vie. Nous pouvons en conclure que si les jeunes n’ont pas toujours des représentations très précises d’un métier, elles et ils se le représentent néanmoins comme un moyen de gagner sa vie, d’améliorer sa condition et d’augmenter son autonomie.

Dispositif artistique qui éveille au monde professionnel

Dans une structure TEM de la région lausannoise, d’autres dispositifs originaux sont mis en place pour préparer les élèves au monde professionnel. Parmi ceux-ci, un projet a réuni deux classes sur plusieurs semaines afin de réaliser des panneaux de grande taille mettant en scène de petits bonhommes à la manière de Keith Haring, artiste peintre et précurseur du Street art à New York. Les élèves ont travaillé par petit groupe en représentant ces personnages dans le métier de leur choix. Elles et ils ont dû proposer un titre original accompagné de verbes d’action en lien avec le métier présenté (voir Figure 1). Le panneau, peint à la gouache par trois élèves, représente le métier de la vente (commerce de détail). Les jeunes lui ont attribué le titre « Chaussures à son pied » et les verbes suivants : vendre, mettre en valeur, présenter, ranger, solder, essayer.

Figure 1 : Dessin d’élèves représentant le métier de la vente
Ce panneau a été peint à la gouache par un groupe de 3 élèves. En dessinant à la manière de Keith Haring, ils ont représenté le métier de la vente (commerce de détail) en illustrant une boutique de magasin de chaussures avec des chaussures, des boîtes à chaussures, une caisse enregistreuse et de l'argent.

Le projet est à la fois artistique et prospectif en tant que préparation à l’entrée dans le monde professionnel. La modalité artistique a été un moyen au service d’une réflexion en groupe sur ce que représente un métier. Quels sont les gestes professionnels ? Quels sont les outils, les vêtements et les machines typiques de la profession en question ? Les élèves se sont projetés dans un métier qui pourrait être celui qu’elles ou qu’ils apprendraient à l’avenir. Les jeunes ont effectué des recherches et ont échangé leur point de vue pour éclaircir les représentations du métier envisagé.

Les résultats ont été surprenants. En effet, les productions ont été très réussies d’un point de vue artistique et ont permis aux élèves de détailler les représentations d’un métier par l’intermédiaire des outils, machines et actions induites par les professions. Ils ont révélé que l’art peut aider les élèves à mieux se représenter le monde professionnel. Finalement, est-ce que la pensée créatrice mise en œuvre dans un projet artistique n’enrichit-elle pas les représentations d’une thématique donnée ? S’il ne parait pas instinctif d’associer travaux artistiques et monde professionnel, l’un peut servir l’autre et inversement. Le projet ainsi que les contributions ont été largement salués par les élèves, la direction, les collaboratrices et les collaborateurs de la structure.

Conclusion

Il est indéniable que les stages en entreprise, s’ils se répètent, favorisent une bonne représentation du monde du travail. C’est d’ailleurs un dispositif largement retenu dans les structures TEM. Néanmoins, ces stages nécessitent un accompagnement soutenu pour les élèves bénéficiant d’un soutien éducatif particulier. Ceci est d’autant plus vrai lorsque les élèves ont un faible degré d’autonomie, de prise d’initiative et d’estime de soi. Le véritable défi est de savoir comment accompagner ces élèves. Quels moyens humains, logistiques et éducatifs doivent être mis en place pour parvenir à un processus de stage pour l’ensemble des élèves d’une structure et pas seulement pour celles et ceux qui ont un seuil minimal de compétences ? Plusieurs pistes peuvent être envisagées :

Hormis les stages en entreprise, des dispositifs originaux, tels qu’un projet artistique, peuvent présenter une entrée en douceur dans la découverte du monde professionnel. Ces dispositifs sont particulièrement adaptés aux jeunes pour qui la transition école-métier doit se faire progressivement avec un accompagnement soutenu. D’autres dispositifs astucieux existent et ont démontré leur efficacité. Nous pouvons citer les CV vidéos, les articles sous forme d’enquête / d’interview réalisé au Salon des Métiers et de la Formation Lausanne ou encore les visites d’entreprises. L’importance est d’adapter au mieux les dispositifs choisis aux besoins des élèves.

Auteur

Sylvain Périchon
Chargé d’enseignement
HEP Vaud, Lausanne
sylvain.perichon@hepl.ch

Références

Abric, J.-C. (2003). Exclusion sociale, insertion et prévention. Erès.

Balli, Y. (2023). Apports des stages en entreprise et représentations du monde professionnel dans un contexte de transition école-métier en pédagogie spécialisée [Travail de Master non publié]. Haute École Pédagogie Vaud.

Statistique Vaud. (2016). L’orientation des jeunes au terme de la scolarité obligatoire et des filières de transition. Numerus, 33, 1-16. https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/dfin/statvd/Publications/Numerus/Numerus-HS_Ocosp.pdf

Flament, C. (2007). Conformisme et scolarité : les représentations sociales du travail et du non travail chez les jeunes non qualifiés des quartiers défavorisés. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 73(1), 3-10. https://doi.org/10.3917/cips.073.0003

Guichard, J., & Huteau, M. (2007). Orientation et insertion professionnelle : 75 concepts clés. Dunod.

Mallet, P. (1999). L’anxiété suscitée par l’avenir scolaire et professionnel au cours de l’adolescence : la formation d’une anxiété sociale majeure. Carriérologie, 7(3-4), 599-618. https://www.researchgate.net/publication/285059366_L'anxiete_suscitee_par_l'avenir_scolaire_et_professionnel_au_cours_de_l'adolescence_La_formation_d'une_anxiete_sociale_majeure

Masdonati, J., & Massoudi, K. (2012). L’accompagnement de la transition école-travail. In P. Curchod, P. A. Doudin, & L. Lafortune (Eds.), Les transitions à l’école (pp. 149-177). Presses de l’Université du Québec.

Padiglia, S. (2007). Itinéraires de transition et solutions transitoires en Suisse. In M. Behrens (Ed.). La transition de l’école à la vie active ou le constat d’une problématique majeure (pp. 13-22). Institut de recherche et de document pédagogique.

Rousseau, N., Tétreault, K, Fréchette, S., & Théberge, N. (2012). Mieux faire l’école pour nous aider à voir grand ! Le cas des adolescents handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. In P. Curchod, P-A. Doudin & L. Lafortune (Eds), Les transitions à l’école (pp. 235-257). Presses de l’Université de Québec.

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