Le mieux c’est d’en parler tout le temps et partout !

Sébastien Kessler

DOI: https://doi.org/10.57161/r2023-03-06

Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 13, 03/2023

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Que n’a-t-on pas déjà dit ou écrit sur la sexualité des personnes en situation de handicap ? Recentrons-nous sur ces premiers mots, « la sexualité DES personnes en situation de handicap ». Un piège s’établit ici : deux sexualités, inégales, celles de 20 % de la population suisse dite handicapée et celle des 80 % autres. Pourquoi cette dichotomie ? Problématise-t-elle ce qui ne devrait pas l’être ? Est-elle justifiée à l’heure de l’inclusion ?

Oui, c’est juste d’en faire un sujet à part. Parce que, parmi ces 20 %, certains individus sont plus vulnérables, dépendants d’autrui et aussi davantage cachés. Ils sont invisibilisés et leur corps aussi. À force de ne voir que des corps semblables, on stigmatise les différences au lieu de les valoriser comme cela pourrait aussi être le cas. Par conséquent, la dichotomie s’installe insidieusement. Cette absence de diversité des corps ne dit rien sur leurs besoins propres. Je me souviens, il y a passé 15 ans lors de la première formation romande en assistance sexuelle, que ce n’était pas tant le fait que celle-ci soit une forme de prostitution qui surprenait, mais que des personnes en situation de handicap puissent avoir des désirs. « Je n’avais jamais pensé, mais oui, c’est normal maintenant que tu le dis ! » je m’entendais rétorquer. Au bénéfice du 100 %, la visibilisation est propice.

Oui, c’est nécessaire. Parce que les hommes et les femmes vivant dans une forme de dépendance sont plus à risque de violences (à ce propos, cf. Rapport du Conseil fédéral du 16 juin 2023) ; dépendance en raison de besoins physiques (d’ordre sexuel ou d’assistance), d’une déficience cognitive ou psychique, de la solitude tout « simplement », mais aussi pour des raisons financières (ce qui est exacerbé chez les femmes). Toujours à propos d’argent, le sexe coute cher et pas seulement lors de pratiques tarifées : draguer, se déplacer, inviter l’élue ou l’élu de son cœur, s’organiser pour recevoir, se coucher, etc. C’est bien beau le « droit à la sexualité », encore faut-il en avoir les moyens !

Non, c’est inutile d’en faire un thème à part, parce que le plaisir, donné ou reçu, n’est pas l’apanage d’un groupe. Sur le fond, la diversité des corps, des pratiques, des besoins et des désirs sexuels est telle qu’elle ne justifie aucune dissociation en sous-catégories sociales. La sexualité comme lieu d’expérimentation, d’apprentissage et donc de développement personnel ne résiste pas à des argumentations différenciées. Alors oui, les moyens peuvent varier (par exemple, un sextoy plus inclusif), mais ils ne justifient pas de spécifier les discours et les écrits. La santé et l’éducation sexuelle concernent l’ensemble de la population. Il faut intégrer LE handicap dans tout ce qui concerne LE sexe (les réflexions, les services, les pratiques, etc.). Au lieu de parler de la sexualité DES personnes en situation de handicap, il faut insister sur l’importance de l’éducation sexuelle pour tout le monde, par exemple parler du consentement tant aux jeunes qu’aux séniors, aux femmes qu’aux hommes et à tout le spectre entre deux, aux personnes cisgenres ou non, avec ou sans déficience… ; tout en soulignant l’influence sur les relations intimes du patriarcat. À la place de catégoriser les besoins, intéressons-nous à notre propre recherche de plaisir, ce qu’elle dit de nous et de nos relations.

En fin de compte, on pourrait prendre de la graine sur les travailleuses et travailleurs du sexe, plus progressistes que quiconque, qui mentionnent sur leur site web, au détour de photos coquines et des tarifs, que « tous les corps seront accueillis, avec ou sans diversité fonctionnelle ». Dont acte.

Associé et co-fondateur de id-Geo Sàrl, bureau d’étude en accessibilité universelle

De formation physicien et économiste de la santé, Sébastien Kessler est également formateur indépendant, militant actif notamment comme membre du comité de la faitière Inclusion Handicap, et élu politique.