L’assistance sexuelle en Suisse romande

Entretien avec Judith Aregger, présidente de Corps Solidaires

Elodie Siffert et Judith Aregger

Résumé
L’assistance sexuelle est une prestation destinée aux personnes en situation de handicap souhaitant partager un moment sensuel et découvrir leur sexualité. En Suisse romande, l’association Corps Solidaires (Association Suisse Romande Assistance Sexuelle et Handicaps) sert non seulement d’intermédiaire entre les bénéficiaires et les assistantes et assistants sexuels (AS), mais propose également des formations certifiantes et des intervisions. L’association à but non lucratif a été créée en 2009 par une dizaine d’AS certifiés par la première formation francophone organisée par SEHP (Sexualités et Handicaps Pluriels), dont Judith Aregger. Lors de ses études en linguistique, l’actuelle présidente a souhaité se former afin d’enrichir ses connaissances d’ancienne travailleuse du sexe. Par la suite, elle a étoffé son savoir par des études en sexologie clinique. Elle est convaincue que le droit à la sexualité doit être accessible à toute personne, quelles que soient son orientation sexuelle et ses particularités.

Zusammenfassung
Sexualassistenz ist eine Dienstleistung für Menschen mit Behinderungen, die eine sinnliche Erfahrung machen und ihre Sexualität entdecken möchten. In der Westschweiz vermittelt der Verein «Corps Solidaires» (Association Suisse Romande Assistance Sexuelle et Handicaps) nicht nur zwischen den Empfänger:innen und den Sexualassistent:innen, sondern bietet auch zertifizierende Ausbildungen und Intervisionen an. Der gemeinnützige Verein wurde im Jahr 2009 von einem Dutzend Sexualassistent:innen gegründet, die im Rahmen der ersten französischsprachigen, von SEHP (Sexualités et Handicaps Pluriels) organisierten Schulung zertifiziert wurden, darunter Judith Aregger. Während ihres Studiums der Linguistik wollte sich die heutige Präsidentin weiterbilden, um ihre Kenntnisse als ehemalige Sexarbeiterin zu erweitern. Später ergänzte sie ihr Wissen durch ein Studium der klinischen Sexologie. Sie ist davon überzeugt, dass das Recht auf Sexualität für alle Menschen unabhängig von ihrer sexuellen Orientierung und ihren Besonderheiten gilt.

Keywords: assistance sexuelle, handicap, sexualité / Sexualbegleitung, Behinderung, Sexualität

DOI: https://doi.org/10.57161/r2023-03-05

Revue Suisse de Pédagogie spécialisée, Vol. 13, 03/2023.

Creative Common BY-NC-ND

En 2009, Judith Aregger a été certifiée comme assistante sexuelle par SEHP.

En 2016, elle obtient un CAS en sexologie clinique.

Depuis trois ans, Judith Aregger est présidente Corps solidaires et membre du comité de pilotage de la formation en accompagnement sensuel et assistance sexuelle. Elle détient aussi un poste d’assistante administrative.

Judith Aregger travaille pour l’association Aspasie qui s’engage pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe à Genève. Au niveau national, elle est membre du comité de ProCoRe. Ponctuellement, elle intervient dans des Hautes écoles de travail social et de la santé sur le sujet des sexualités et des situations de handicap, ainsi que dans une formation donnée par la Croix Rouge sur l’accompagnement des personnes âgées.

Parcours personnel

Quelles sont vos motivations à exercer la fonction de présidente de l’association Corps Solidaires ?

Depuis trois ans, je suis présidente de Corps Solidaires. Je le fais bénévolement. Je suis rémunérée quand je donne des cours à la Croix rouge ou dans des Hautes écoles de santé ou de travail social.

Mes motivations résultent en partie du fait que j’ai exercé comme travailleuse du sexe et que je suis une ancienne assistance sexuelle. J’ai accompagné des personnes en situation de handicap de tout âge pendant dix ans en Suisse romande. Cet engagement fait que j’ai besoin que l’activité ne meure pas. ça demande beaucoup de courage et d’ouverture pour oser parler de sexualité, puis d’assistance sexuelle et finalement pour représenter Corps Solidaires. Ce n’est pas facile d’en être la porte-parole, mais ça en vaut la peine, car l’assistance sexuelle peut vraiment changer des vies, du moins pour un petit moment, et peut-être même à plus long terme. Le but est toujours d’autonomiser les personnes, de leur redonner envie de leur propre corps, contre lequel elles peuvent ressentir de la colère, à la suite d’un accident ou à cause des douleurs, et qu’elles réapprennent à l’aimer, enfin à s’aimer. C’est toujours l’espoir que le bienêtre apporté par l’assistance sexuelle reste le plus longtemps possible. Chaque personne est différente et en profite à sa manière. Dans le cadre du CAS Sexologie clinique, j’ai écrit mon travail de certification de formation continue sur l’assistance sexuelle (Aregger, 2016). Je pense qu’il y aurait d’autres recherches à mener sur cette thématique.

Pour quelles raisons avez-vous décidé de suivre la première formation d’assistance sexuelle en Suisse romande ?

J’ai l’ai vu par hasard dans le journal 20 minutes. Il semble que c’était une fuite inattendue – le comité d’organisation voulait annoncer la formation seulement dans des revues de pédagogie spécialisée – et heureusement parce que je ne connaissais rien du handicap. Je trouvais révolutionnaire qu’il y ait une formation pour le travail du sexe. Enfin, on reconnaissait les compétences à avoir pour l’exercer ! Par après, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de gens en situation de handicap et qu’un nombre important de ces personnes n’avait pas accès au sexe. Il y a un manque de visibilité du handicap dans la société. De manière générale, le monde reste inaccessible pour beaucoup. Je le vois avec mon copain qui a une sclérose en plaques ; c’est difficile de trouver un restaurant accessible en chaise. Le hasard a fait qu’il a été diagnostiqué pendant que je me formais en assistance sexuelle. N’oublions pas que tout le monde peut se retrouver en situation de handicap à la suite d’un accident ou à la survenue d’une maladie.

Corps Solidaires

Est-ce que Corps Solidaires dépendait de l’association SExualité et Handicaps Pluriels (SEHP) ?

Non, on a tout de suite été une association indépendante. Ce sont des assistantes et assistants sexuels (AS), qui ont suivi la formation en 2008 et 2009, qui souhaitaient avoir un espace pour elles et eux pour différentes raisons. Toutefois, au début, les demandes d’assistance sexuelle passaient par la SEHP, car on était les premières personnes ayant été formées. Vu que la SEHP n’existe plus depuis sa dissolution en 2022, nous pensons reprendre la prévention et l’éducation sexuelle, parce qu’il y a un réel besoin de formations et d’informations sur le sujet « sexualités et handicaps », comme j’ai pu le constater lors de la 5e Journée sexualité dans les soins qui s’est déroulée en 2023 à Lausanne.

Est-ce que Corps Solidaires est une association subventionnée ?

Nous recevons de l’argent de la Loterie Romande et de plusieurs communes genevoises, ainsi qu’une fondation privée pour les frais de la formation. À la suite d’une recherche de fonds conséquente pour pérenniser le fonctionnement de Corps solidaires, le canton de Genève s’est engagé en juin 2023 à soutenir l’Association, ce qui représente une grande reconnaissance de l’assistance sexuelle comme enjeu de santé publique.

Pendant 12 ans, les membres de Corps solidaires étaient tous et toutes bénévoles, les différents soutiens ont permis d’engager depuis cette année trois personnes à temps partiel : la secrétaire (à 10 %), une assistance administrative (à 15 %) et un coordinateur des demandes des potentiels bénéficiaires (à 20 %) – c’est notre terme pour désigner les clientes et clients. Ça ne suffit pas encore, mais c’est un bon début.

Bien que toute personne en situation de handicap ne soit pas pauvre, nous avons un fonds d’aide qui est pour l’instant bien rempli – on a reçu l’année passée un don généreux d’une personne qui est aussi concernée par la thématique et trouvait triste que l’argent puisse être un obstacle à l’assistance sexuelle. Les bénéficiaires intéressés peuvent envoyer à Corps Solidaires une demande d’aide financière. Un groupe de quatre personnes de Corps solidaires s’occupe de valider ou non ces demandes. Notre règle est qu’un tiers de la prestation peut être remboursé, voire deux tiers dans certains cas. En outre, à Genève, Pro Senectute rembourse les assistances sexuelles pour les personnes âgées.

Assistance sexuelle

À qui est destinée l’assistance sexuelle ?

L’assistance sexuelle est destinée à toute personne qui, pour une raison physique ou psychique, n’a pas d’autres moyens pour vivre sa sexualité de manière autonome. Théoriquement, nous sommes ouverts à toutes demandes, quel que soit la difficulté ou le handicap. Je trouve que l’assistance sexuelle devrait être aussi possible pour toute personne vieillissante ou en souffrance avec son corps.

Prêt de la moitié des personnes que l’on accompagne ont des handicaps physiques. Les demandes de personnes avec des troubles psychiques ou une déficience intellectuelle augmentent chaque année. Ça nous est déjà arrivé d’être contactés pour des personnes ayant un polyhandicap. Les demandes de couples sont rares, mais il m’est déjà arrivé d’assister un couple dans lequel les deux partenaires avaient une sclérose en plaques.

Parfois, on est aussi appelé par des institutions pour des bénéficiaires qui manifestent que quelque chose ne va pas. Par exemple, si elle est désagréable ou a commencé à se masturber avec des objets qui peuvent blesser ou être dangereux. Dans des tels cas comme ça, on va voir si l’assistance sexuelle peut jouer un rôle.

Quand Corps Solidaires reçoit une demande, elle est examinée par un employé expérimenté de Corps Solidaires et qui est lui-même AS. Notre employé la transmet à la personne avec laquelle ça pourrait matcher, en fonction du lieu géographique, de l’âge, de ce que la personne a demandé et ce que l’AS offre, parce qu’il faut le préciser, toutes et tous ne proposent, par exemple, des relations avec pénétration. Si la personne veut vraiment un rapport sexuel, on va alors chercher une ou un AS qui accepte ça. La demande est toujours évaluée consciencieusement avant de la transmettre à l’AS. Si elle est acceptée, alors l’AS va se déplacer chez la personne. Nous faisons toujours le déplacement, d’une part, car Corps Solidaires n’a pas de locaux et d’autre part, car les AS sont répartis dans toute la Suisse.

Dans votre charte, vous mentionnez « tout acte pratiqué dans ce cadre requiert le consentement libre et éclairé de chaque personne impliquée ». Est-ce que la curatrice ou le curateur doit donner son accord ?

Si c’est une curatelle générale, nous informons la curatrice ou le curateur de la démarche de l’assistance sexuelle et lui demandons de signer une décharge légale pour éviter que l’AS soit redevable en cas de problème. Une fois, bien que l’institution, la référente et le médecin étaient favorables, une assistance sexuelle n’a pas eu lieu parce que le curateur était contre. Parfois, ce sont les parents ou les enfants qui ne veulent pas que ça se fasse. La situation peut se compliquer davantage quand la curatrice ou le curateur est un parent ou un enfant.

J’ai eu des bénéficiaires qui étaient non verbaux et je me suis demandé comment je pouvais savoir si c’était ce qu’elles et ils voulaient. C’est un vrai questionnement et je me suis souvent demandé si j’en avais fait assez. Il y a eu des situations où je suis rentrée à la maison sans savoir si ça leur avait plu ou non. Une fois, un monsieur m’a regardé avec de grands yeux pendant toute la séance. Après deux semaines, l’institution m’a rappelé et m’a dit que c’était magnifique, que le monsieur en question allait beaucoup mieux, il avait commencé à mieux prendre soin de lui. Il y a des évènements comme ça qui nous montrent après coup que la prestation avait plu. On développe aussi un certain instinct, parce que dans le sexe et l’amour, il y a des choses qui sont difficiles à verbaliser.

En 2022, combien de personnes ont bénéficié d’une assistance sexuelle en passant par Corps Solidaires ?

En 2022, en Suisse, 105 personnes ont bénéficié d’une assistance sexuelle : 44 personnes dans le canton de Genève, 35 personnes dans le canton de Vaud, 12 personnes dans le canton de Fribourg, 9 personnes dans le canton du Valais, 4 personnes dans le canton de Neuchâtel et 1 personne dans le canton du Jura.

En France, il y a eu 120 assistances sexuelles. Il y en a moins à cause des distances, bien qu’une fois des parents sont venus de Toulouse pour leur fils. D’autre part, la législation française concernant le travail du sexe condamne les clientes et clients. Alors, les personnes en situation de handicap pourraient être punies par la loi, de même que les mères et les institutions, considérées comme proxénètes en tant qu’intermédiaire. Marcel Nuss, qui défend ouvertement l’assistance sexuelle, réclame d’être mis en prison en tant que bénéficiaire, militant et intermédiaire entre des personnes en situation de handicap et des AS. S’il est une fois condamné par la loi, alors les médias parleraient grandement de l’assistance sexuelle et ça pourrait insuffler des changements législatifs.

Quel est le cout d’une assistance sexuelle ? Quelle est l’importance que cette prestation soit tarifiée ?

L’assistance sexuelle d’une heure coute en général 150 francs. Au préalable, il y a toujours une première rencontre que je facturais 50 francs, plus les frais de déplacement. Ça permet d’évaluer la demande et de vérifier si on se plait mutuellement, bien que la personne en situation de handicap n’ait pas tellement le choix, car il y a relativement peu d’AS. Cependant, c’est déjà arrivé que des clientes ou clients refusent la prestation, souvent des personnes présentant une déficience intellectuelle, qui ont dit honnêtement vouloir une personne plus jeune ; ce qui signifie qu’elles ont bien assimilé qu’elles pouvaient exprimer leurs envies.

C’est important que la prestation soit facturée, parce que ce n’est pas de la charité ni de l’amour. C’est à égalité. Il y a un contrat, il y un don et un contre don. C’est important de toujours discuter du prix avec la personne en situation de handicap, cela permet de clarifier que c’est une prestation, un service à la personne. Ça doit être clair que ce n’est pas un site de rencontre. On ne va pas empêcher des personnes de tomber amoureuses, mais c’est un garde-fou et le tarif permet d’inscrire la rencontre dans un cadre.

Est-ce que l’assistance sexuelle devrait être remboursée par les assurances au même titre qu’une thérapie ?

On s’est déjà posé la question. Surtout à cause du prix, qui est trop élevé pour les personnes ayant 300 francs d’argent de poche par mois, mais beaucoup trop bas pour celles qui exercent. Quand j’étais escort girl, je gagnais 500 francs par heure et non 150 francs comme avec l’assistance sexuelle. Les escort girls ne font pas d’assistance sexuelle, parce qu’elles doivent en vivre. Pour des questions financières, ça serait certainement bien si des assurances complémentaires remboursaient l’assistance sexuelle.

Dans le film américain The sessions, l’assistance sexuelle est vue comme une thérapie, précisément le surrogate-partnership. C’est un triangle thérapeutique mise en place par Masters et Johnson. Il y a donc une ou un thérapeute, une assistante ou un assistant et une patiente ou un patient. Après un nombre limité de séances, le problème sexuel devrait être réglé. Corps Solidaires n’est pas dans cette conception, car l’assistance sexuelle n’est pas vue comme une thérapie en soi et on ne souhaite en tout cas pas médicaliser l’approche. Les AS sont là pour amener du plaisir et ça c’est quelque chose de rare pour les personnes en situation de handicap. Elles ont assez d’offres médicalisées. On ne veut pas être une thérapie supplémentaire. L’assistance sexuelle doit rester un moment de liberté et de folie. Dans notre charte, c’est inscrit qu’on n’est pas tenu d’obtenir un résultat, bien qu’on observe régulièrement une amélioration du bienêtre. Les gens dorment mieux, le transit fonctionne mieux, ils marchent mieux, c’est aussi bon pour la circulation sanguine et il y a également une influence sur la santé mentale. C’est naturel et normal, le sexe procure aussi ces biens faits aux gens valides. Pour mesurer réellement ces effets, il faudrait effectuer une fois une recherche. Moi, j’avais une bénéficiaire que je voyais toutes les 2 semaines et pour elle l’assistance sexuelle a eu un effet d’antidouleur. Sur la quantité de médicaments qu’elle prenait, deux ont pu être retirés. Dans cette situation, on peut en dire que l’assistance sexuelle a eu un effet thérapeutique.

Selon le handicap et la résilience individuelle, le quotidien est géré par chaque personne différemment. C’est pour ça qu’il faut prescrire de l’assistance sexuelle uniquement aux gens qui le demandent. Parfois, on est contacté par l’équipe soignante ou les proches. Dans ces situations, il faut vraiment évaluer la demande, parce que l’assistance sexuelle n’est peut-être pas la meilleure réponse au problème. Quand une personne a des gestes déplacés envers le personnel soignant ou se masturbe dans les lieux publics, alors oui, l’assistance sexuelle peut aider. À contrario, en cas de troubles psychiques, l’assistance sexuelle est rarement une réponse suffisante aux souffrances.

En Hollande, l’assistance sexuelle est remboursée une fois par mois par la Sécurité sociale. Des personnes en situation de handicap m’ont expliqué qu’elles doivent remplir tant de formulaires qu’elles préfèrent finalement aller dans le Red Light District d’Amsterdam et payer elles-mêmes la prestation.

Pour ces raisons administratives, Corps Solidaires préfère se débrouiller avec le fonds d’aide de la fondation privée que je mentionnais préalablement. À l’avenir, si Pro Infirmis pouvait financer le déplacement ou les prestations d’assistance sexuelle, comme le fait déjà Pro Senectute Genève pour les personnes âgées, la question du remboursement par les assurances complémentaires ne se poserait plus.

En Suisse, est-ce que l’assistance sexuelle est assimilée à de la prostitution ?

Oui, légalement l’assistance sexuelle est assimilée à la prostitution. Rappelons qu’en Suisse, la prostitution est réglée différemment dans chaque canton. Genève est le seul canton où l’assistance sexuelle est exclue de la loi sur la prostitution, donc elle a légalement un statut à part. La loi sur la prostitution de Genève exclu spécifiquement les AS, par exemple, elles et ils ne doivent donc pas s’enregistrer à la police, contrairement aux TdS de ce canton. Dans le reste de la Suisse, l’assistance sexuelle est considérée au même titre que le travail du sexe, ou comme de l’escorting, parce que les AS vont chez les personnes. C’est extrêmement rare qu’elle ou il reçoive un bénéficiaire à leur domicile.

Il n’y a pas de « bordels » spécifiques pour les personnes en situation de handicap. En visitant les salons de massages érotiques pour Aspasie [ndlr. Association de solidarité créée par des TdS à Genève en 1982], je suis attentive à l’accessibilité des lieux. Quelques grands clubs ont des ascenseurs et certains immeubles peuvent être accessibles en chaise roulante, mais il est ensuite difficile de rentrer dans les chambres et souvent impossible d’aller aux toilettes.

L’encadrement et la perte d’anonymat sont d’autres différences avec le travail du sexe. Nous connaissons le domicile et le vrai nom des bénéficiaires. La prestation n’est plus anonyme et c’est aussi pour ça que beaucoup de personnes en situation de handicap ne sont pas intéressées par l’assistance sexuelle. Souvent, les demandes viennent de la part des mères, parfois des institutions et quelques fois des psychologues.

L’assistance sexuelle se différencie également du travail du sexe, car il y a un temps d’attente, d’un mois ou plus, parce qu’on n’est même pas une douzaine pour toute Romandie. La personne ne peut pas appeler ce soir et avoir un rendez-vous demain. Ça peut être énervant, mais aussi réjouissant parce qu’on se prépare et on attend ce moment. Ça devient en quelque sorte plus conscient que le simple fait de consommer. Les AS ne peuvent pas toujours se libérer et ne veulent peut-être pas consacrer leur weekend à l’assistance sexuelle, surtout si elles et ils ont des familles.

Ça me fait mal au cœur que l’assistance sexuelle soit mieux perçue que le travail du sexe, à l’origine, j’ai fait cette formation parce que j’étais prostituée. Dans une institution, on m’a dit une fois : « ah, je suis heureuse que ce soit vous et pas une prostituée ». C’est injuste ! À votre avis, où sont allées les personnes en situation de handicap avant les années 80 ? Elles avaient déjà une sexualité avant l’assistance sexuelle. Les TdS s’en sont toujours occupé et ça va continuer, parce que la dizaine d’AS en Suisse romande ne suffisent pas à couvrir les demandes.

Formation

Qui souhaite se former en assistance sexuelle ? Quels sont les critères pour pouvoir participer à la formation ?

Ce sont principalement des gens qui viennent du médicosocial, mais également d’autres domaines. Souvent, il y a une personne en situation de handicap dans l’entourage ou ils ont vécu un évènement particulier qui les a sensibilisés. Ou encore, ce sont des personnes qui ont déjà fait de l’échangisme et qui savent que ça ne va pas poser de problème dans le couple. Ce ne sont pas forcément les TdS qui se forment le plus parce qu’elles et ils n’ont pas les moyens de passer un weekend sans gagner de l’argent et la formation a un certain cout. En outre, devenir AS, n’intéressent pas les escorts girls, parce que le manque à gagner est trop important.

Avant le début de la formation, il faut envoyer une lettre de motivation et un extrait du casier judiciaire. Comme nous faisons le lien entre les AS et les bénéficiaires, les institutions pensent que nous sommes garants des AS, bien qu’elles et ils soient ne sont pas employés par Corps Solidaires et restent indépendant. On ne reçoit pas de retour des bénéficiaires, seulement si ça s’est mal passé ou quand les AS ne sont pas venus. Si quelque chose se passe mal, on a la possibilité de contacter l’AS en question, mais ensuite la personne est libre d’exercer comme elle veut. On organise quand même une rencontre annuelle pour voir si tout se passe bien et pour échanger. La seule garantie que nous pouvons proposer c’est que nos AS sont tenus de signer la charte et de respecter les règles du safer sexe.

Les AS doivent exercer un travail rémunéré à côté de l’assistance sexuelle afin d’éviter de devoir fidéliser ses clients et clientes pour gagner suffisamment d’argent, ce qui va à l’encontre de l’éthique de Corps Solidaires. Nous avons la volonté d’autonomiser les gens. Le but c’est que les bénéficiaires n’aient plus besoin des AS et qu’elles et ils puissent avoir une vie amoureuse épanouissante.

C’est également important d’informer sa ou son partenaire pour éviter de mener une double vie comme c’est souvent le cas des TdS. Mentir au quotidien sur son activité est un aspect éprouvant. Le choix de prévenir l’entourage revient aux AS. On sait que ce n’est pas si facile. Les gens comprennent rarement l’envie d’exercer comme AS. Je connais des femmes qui ont assumé, mais elles ont dû faire face à des remarques désagréables et même à des avances sexuelles venant de voisins. Personnellement, avant de donner des interviews, j’en ai discuté avec mes filles, parce que ça peut leur retomber dessus un jour. Pour moi, c’était important de parler de l’assistance sexuelle pour briser le tabou, mais ce n’est pas si facile pour elles d’assumer que leur mère couche avec des personnes en situation de handicap.

Sur quels aspects la formation d’assistance sexuelle met-elle l’accent ?

La formation met l’accent en particulier sur la compréhension de soi et des raisons à vouloir exercer cette activité : par exemple, ses motivations, son propre vécu sexuel, ce que la personne aime ou non. Cette démarche permet en outre de garantir le consentement libre et éclairé.

Ensuite, il y a toute la partie sur les différentes formes de handicap, sans pour autant aller dans les détails, parce que ça serait vraiment trop long. En 2009, quand j’ai fait la formation, j’ai payé 3000 francs. On a eu des interventions très chères de spécialistes de certaines formes de handicap, mais on a remarqué que ce n’était pas indispensable de connaitre, par exemple, l’infirmité motrice cérébrale dans le détail, parce ce que la maladie s’exprime à chaque fois différemment. En résumé, une approche trop théorique ne correspond pas à notre réalité, car souvent on rencontre des personnes en situation de handicap avec des comorbidités. Le risque serait d’être encombré par la théorie et de ne plus venir pour le plaisir. C’est important de savoir dès le départ si la personne arrive à parler, quelles sont ses difficultés, si elle est incontinente, si elle a des problèmes de hanches, etc. La personne ou son entourage peuvent renseigner l’AS sur ces aspects. On a donc réduit l’apport médical pour laisser plus de place aux exercices pratiques et à la réflexion.

Des personnes avec un handicap physique viennent également témoigner. Une personne se trouvant sur le spectre de l’autisme intervient également, ce qui est important parce qu’on reçoit de plus en plus de demandes de cette population. On aimerait bien avoir un peu plus d’intervenantes ou intervenants en situation de handicap bien que ce soit difficile, par exemple en raison des déplacements. De même, c’est compliqué d’envisager des personnes en situation de handicap sans la parole comme enseignantes ou enseignants. De plus, les anciens bénéficiaires sont comme les clientes et clients du TdS, elles et ils ne veulent souvent pas qu’on sache qu’elles et ils payent pour du sexe, surtout les jeunes. La société porte encore un regard humiliant sur les personnes qui font appel aux TdS et aux AS.

On propose également une demi-journée de déplacement sécuritaire pour apprendre ce que l’on doit faire et surtout ce qu’il faut éviter pour protéger le dos. Les personnes en situation de handicap sont les spécialistes de leur handicap et c’est elles qui nous apprennent comment faire. Quand elles habitent de manière autonome, elles ont l’habitude de donner des conseils pour les transferts et des aménagements sont déjà mis en place.

On invite aussi une juriste pour préciser les questions légales, surtout du côté français. Dans nos formations, en raison de la proximité de Genève et de la France, presque la moitié des participantes et participants sont français. Le comité de pilotage de la formation, composé de quatre personnes, est aussi franco-suisse.

Une fois les AS formés, il y a encore un partenariat puisque Corps Solidaires reçoit les demandes et les distribue. On organise aussi des intervisions au moins une fois par année. On aimerait augmenter les moments de rencontre, parce que c’est en échangeant sur nos pratiques qu’on évolue le mieux.

Quelle est la proportion femmes-hommes qui a été formée jusqu’à présent ?

À présent, nous avons plus de femmes que d’hommes. Quand j’ai suivi la formation il y a 15 ans, c’était la parité. On a commencé 6/6 et on a fini 5/5. Mais les demandes sont à 90 % pour des assistantes. Même les femmes font appel plus souvent à des assistantes qu’à des assistants, surtout lorsque leur souvenir du sexe avec les hommes est et désagréables. Les femmes en situation de handicap sont souvent victimes d’abus sexuels, en particulier si elles n’ont pas accès au langage verbal ou si elles ont une déficience intellectuelle. C’est donc tout à fait compréhensible qu’elles préfèrent accueillir une femme, du moins pour le début. C’est clair que notre cerveau ne veut pas répéter une souffrance et donc s’il n’y a pas eu d’expérience positive, la personne va soit ne plus vouloir de relations sexuelles ou soit elle va commencer avec une femme. On a donc besoin de plus d’assistantes que d’assistants.

La première certification en Suisse romande était en 2009. La première en Suisse alémanique devait être en 1984. Ils ont fait 3 à 4 formations en Suisse-Allemande avant qu’elles traversent le Röstigraben. À Genève, ville calviniste, il a fallu plus longtemps pour changer. Ensuite, il y a eu les cantons catholiques : Fribourg, Valais… C’est la religion qui réfrène les rapports sexuels entre personnes non mariées. Israël était un pionnier dans le domaine, en raison des nombreux blessés de guerre, il y a des AS depuis longtemps, sauf erreur déjà depuis les années 60. C’était le principe de substitute partner. Le but était alors de remplacer un partenaire pour un temps donné.

Quand débute la prochaine formation de Corps Solidaires ? Comment se déroule-t-elle ?

La prochaine formation certifiante à l’accompagnement sensuel et l’assistance sexuelle des personnes en situation de handicap commence le weekend du 27, 28 et 29 octobre. On cherche bien sûr des participants, mais surtout des participantes. Il y a toujours plus d’hommes qui s’inscrivent, mais nous avons besoin de femmes.

La formation est certifiante et dure quatre weekends. Le premier est un séminaire préalable avec des informations générales et quelques exercices corporels. Il permet surtout de faire connaissance. Après ce premier weekend, les personnes inscrites peuvent s’arrêter là. Certaines personnes ne se rendent pas compte que l’assistance sexuelle est assimilée à de la prostitution et disent « ne pas vouloir suivre une formation pour devenir prostituée ». Une fois, nous avons dû refuser un participant par manque de finesse et de respect du non verbal, cela veut dire qu’il n’était pas à l’écoute de l’autre dans un exercice corporel sans paroles. Il était dans une attitude à vouloir imposer sa vision de la sexualité, bien que les AS sont là pour accompagner la personne dans la découverte ou la réappropriation de sa propre sexualité.

La formation est payante. Le premier weekend coute 250 francs et ensuite c’est quasiment 100 francs par journée de formation, au total ça revient à 1250 francs, ce qui est beaucoup moins que la première formation qui coutait alors 3000 francs. À Zurich, une formation comparable coute 2500 francs parce que les formatrices et formateurs ne se sont pas bénévoles à l’inverse de nous. Le soutien financier externe est donc primordial pour Corps Solidaires, d’une part pour continuer de proposer une formation à un prix abordable et d’autre part pour éviter de s’épuiser.

La dernière formation s’est terminée en avril 2023. On propose une formation par année, parce que souvent les gens formés ne restent pas très longtemps dans le métier. La situation la plus fréquente, par exemple, est que la personne tombe amoureuse dans le privé et l’assistance sexuelle ne sera plus sa priorité. C’est donc très fluctuant. On est peu nombreux et ça se peut qu’on soit encore moins si une assistance se passe mal.

Projets

Quels projets souhaitez-vous mettre en œuvre ces prochaines années ?

J’aimerais reprendre un projet qui n’a pas pu avoir lieu à cause de la pandémie du Covid-19. Il s’agissait de faire une rencontre européenne d’AS avec toute personne ayant des expériences avec des clientes et clients en situation de handicap, mais également les TdS. Il y a des AS en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Tchéquie et peut-être encore ailleurs… Une telle rencontre permettrait d’échanger et de discuter, par exemple, du problème du remboursement des déplacements des AS qui ne sont pas pris en compte dans le prix de l’assistance.

Ce serait bien aussi de développer des bourses pour financer la formation. Dans mon cas, j’ai dû prendre un crédit auprès de Françoise Vatré [ndlr. Sexopédagogue spécialisée et co-autrice du livre Assistance sexuelle et handicaps. Au désir des corps, réponses sensuelles et sexuelles avec créativités] pour payer la formation, car à ce moment-là je faisais mon Bachelor en linguistique. Une piste serait de développer une collaboration avec Aspasie pour des bourses destinées aux TdS intéressés à suivre la formation, mais qui n’ayant pas l’argent nécessaire. Dans tous les cas, je rappelle que le travail du sexe doit rester leur activité rémunérée à côté de l’assistance sexuelle et la charte doit être signée.
Ayant suivi la formation ou non, les TdS sont libres d’insérer à leur annonce un logo « handicap », comme une chaise roulante, parce que le titre d’AS n’est pas protégé.

Un autre de mes projets serait de faire une tournée des grandes institutions pour leur expliquer ce qu’est l’assistance sexuelle, car les mécompréhensions sont encore grandes et souvent les professionnelles et professionnels ne connaissent pas les bienfaits de l’AS. Parfois, on est appelé seulement en cas de problème et c’est trop tard. Il faut écouter les besoins sexuels avant que ça ne devienne un problème. Ça serait bien d’être contactés plus tôt, sinon les attentes envers l’AS sont irréalistes. Le toucher, par exemple, peut débloquer beaucoup de choses. Une fois, j’ai été appelé par un établissement médicosocial pour un monsieur qui avait un langage et des gestes inappropriés à l’encontre de l’équipe soignante. Après que l’assistance sexuelle a eu lieu, le personnel m’appelle pour m’informer que son comportement était à nouveau socialement acceptable. Parfois, le toucher peut faire des miracles.

Autrices

Entretien réalisé par 

Elodie Siffert

Collaboratrice scientifique

SZH/CSPS

elodie.siffert@csps.ch

Avec, comme invitée

Judith Aregger

Présidente

Corps solidaires

judith.corpsolidaires@ecomail.pro

Références

Aregger, J. (2016). L’assistance sexuelle. Une réelle amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec un handicap, âgées ou souffrant de troubles sexuels, grâce à une prestation de travail du sexe. Est-ce socialement acceptable et intégrable ? [Travail de certificat de formation continue en sexologie clinique, Université de Genève]. Archive ouverte UNIGE. https://www.unige.ch/formcont/files/9715/1326/9622/CAS_sexologieclinique_memoire_assistance_sexuelle_Aregger.pdf

Vatré, F., & Agthe Diserens, C. (2023). Assistance sexuelle et handicaps. Au désir des corps, réponses sensuelles et sexuelles avec créativités (3e éd.). Chronique sociale.