Une confiance en l’intelligence corporelle intime

Le rôle de l’approche somatique en éducation spécialisée

Christine Fayet

Résumé
À travers cet article, je souhaite vous présenter une approche pédagogique où le corps est le point nodal de l’expérience dans le domaine de l’accompagnement à l’intime. Le point de départ est un questionnement autour du corps qui m’amène ensuite à vous partager une partie du processus d’incorporation de l’éducation somatique tel que je l’ai vécu, pour ensuite l’adapter à ma pratique d’accompagnatrice à l’intime, aujourd’hui ouverte à un large public, et plus spécifiquement à des femmes en situation de handicap. Il s’agit donc ici de partager comment ma relation au corps a d’une part influencé mon rapport à soi et à l’autre, d’autre part transformé ma conception de l’accompagnement à l’intime, tant dans ma relation avec les personnes accompagnées qu’au niveau de la formation proposée aux équipes pluridisciplinaires.

Zusammenfassung
Mit diesem Artikel möchte ich Ihnen einen pädagogischen Ansatz vorstellen, bei dem der Körper im Zentrum der Intimbegleitung steht. Ausgehend von einer Reflexion über den Körper berichte ich über meine Erfahrungen mit der somatischen Erziehung. Ich zeige auf, welche Anpassungen ich infolgedessen für meine Praxis als Intimbegleiterin vorgenommen habe. Meine angebotene Intimbegleitung steht heute einem breiten Publikum und insbesondere Frauen mit Behinderungen offen. Ich erläutere, wie meine Beziehung zum Körper einerseits mein Verhältnis zu mir selbst und zu anderen beeinflusst hat. Andererseits hat sich auch mein Konzept der Intimbegleitung verändert, in meiner Beziehung zu den begleiteten Personen und auch auf der Ebene der Ausbildung, die wir für multidisziplinäre Teams anbieten.

Keywords: approche globale, éducation sexuelle, expression corporelle, relation interpersonnelle / ganzheitlicher Ansatz, Sexualerziehung, körperlicher Ausdruck, zwischenmenschliche Beziehungen

DOI: https://doi.org/10.57161/r2023-03-04

Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 13, 03/2023

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Se plonger dans l’expérience de l’intime

En guise d’introduction, voici quelques mots autour de l’intime. Au sens d’Osho, « l’intimité vient d’intimum, elle signifie l’intériorité, le cœur le plus intime » (2012, p. 55). Pour aller dans le même sens, je choisis d’aborder l’intime avant l’intimité. En effet, il me semble que l’intimité nait de deux intimes partagés. Ainsi proposée, l’exploration de l’intime est comme une étape préalable ou parallèle à la rencontre à l’autre. Ma définition de l’intime est la suivante :

L’intime est la façon essentielle à chaque être humain de sentir, de percevoir, de ressentir, de désirer, d’imaginer, de voir, de toucher, de gouter, d’entendre, de bouger, de chanter, d’aimer… de créer sa réalité en relation avec le monde qui l’entoure, et ce depuis un espace d’intériorité propre.

Avec cette vision, chaque être humain est porteur d’un univers intime unique. Et, aller à sa rencontre est comme découvrir une nouvelle planète. Mais, le voyage commence par soi.

À travers cet article, je souhaite proposer une modalité d’écriture propice à l’émergence de votre expérience à vous, chère lectrice, cher lecteur. Je prends donc le risque d’une écriture parfois intuitive et interactive dans une revue spécialisée. Lorsque j’évoque le corps, je fais référence à mon vécu et à la prise de conscience qui en découle de façon spontanée. Mon propos n’engage que moi et j’en prends l’entière responsabilité. Dans ce format, j’essaie de suivre mon fil, de broder des liens, de tisser ma toile… Régulièrement, je marque des pauses pour m’offrir des temps de silence et ainsi laisser l’espace au processus d’écriture en cours se dérouler sous le clavier.

Ainsi, d’entrée de jeu, je vous propose de plonger dans un modèle d’accompagnement en totale résonance à la spécificité de mon public et en accord à qui je suis. Voyez-là une invitation à vous jouer des règles, à laisser libre cours à ce qui se déploie en vous et autour de vous. Laissez de côté vos activités en cours, installez-vous et prenez de quoi écrire. Comme point de départ, je vous invite à ouvrir une réflexion autour du corps, de ses nombreuses représentations et en quoi elles influencent nos pratiques professionnelles dans le domaine de l’intime.

Démarrons par ces simples questions : quels mots associez-vous au « corps » ? Quelles images apparaissent en premier quand vous pensez au « corps » ? Écrivez vos réponses spontanément.

Se détacher des représentations standardisées du corps

À y regarder de plus près, par quoi vos réponses ont-elles été influencées ? Par des siècles d’histoire, d’art, de culture, de religion, de philosophie, de livres d’anatomie, de politique ou encore d’enjeux actuels d’une société où le corps semble à priori visible, mais uniquement en apparence, à travers un filtre, celui du paraitre. Le corps est aujourd’hui un objet public standardisé, plastifié et banalisé comme n’importe quel autre objet de consommation. Je me demande souvent où sont représentés les corps respirants, transpirants, chantants… ? À priori, ils sont cachés, invisibilisés… conditionnés à vivre cachés. Les corps qui nous sont largement présentés sont donc sans voix, sans chair et sans vie. Les représentations sociétales du corps nous dessinent les pourtours d’un corps codifié et modifiable à souhait.

Alors que le corps est au centre de toute expérience dans le domaine de l’intime, il est quasiment toujours abordé par le prisme de ses représentations standardisées et de discours intellectualisés portés par un inconscient collectif : « le corps amoureux est… », « le corps désirable est… », « la colère s’exprime par… », « l’orgasme est défini comme… », etc. Ces définitions nous coupent de la possibilité de vivre notre propre expérience de l’intime et de reconnaitre à chaque individu la capacité de vivre ses sensations, ses ressentis, ses émotions, etc. Cet assujettissement est source de discrimination en plaçant une partie de la population, ne correspondant pas aux normes socialisées du corps, hors des espaces où se déroulent les jeux relationnels de l’intime.

Je me suis heurtée aux limites de ce puissant modèle où le corps est soumis à cette pression sociétale à maintes reprises dans ma vie et dans mon cursus de spécialiste en santé sexuelle. Un jour, quelque chose en moi a explosé ; j’ai ressenti le besoin de reprendre le chemin de mon corps. Je vous invite à me suivre, à aborder la suite de votre lecture par le prisme de votre expérience corporelle.

Installez-vous confortablement, respirez et ramenez l’attention à vos sensations, à votre corps. Qu’est-ce qui est présent juste là ? Quelle est votre expérience maintenant, quand vous êtes à l’écoute de votre corps ? Notez toutes les sensations qui arrivent, offrez-vous une pause dans la lecture et laissez les sensations se manifester. Je vous invite à rester au contact de votre corps pendant la suite de la lecture.

Oser s’immerger dans son propre corps

Je vous emmène maintenant en voyage en vous partageant mon expérience de la prise de conscience du corps dans la relation à soi et à l’autre. Il y a quelques années, j’ai repris des pratiques psychocorporelles guidées par une envie de sentir mon corps. J’ai, entre autres, rapidement suivi un module de la formation certifiante d’éducatrice somatique proposée par Anne Expert, « Matières, Arts Somatiques ». Dès le début, tout était simple et fluide. Cette fois, il ne s’agissait pas de nourrir le mental, mais d’offrir le cadeau d’une immersion dans son propre corps à travers des pratiques de toucher, de visualisation et de mouvement. Dès les premières explorations, je n’étais plus tout à fait la même. Quelque chose s’était passé, d’autres possibles étaient déjà là. Je ne cherchais pas tout de suite à faire de lien avec mon activité professionnelle, néanmoins j’avais quand même en moi ce questionnement permanent : comment modifier mon approche pour soutenir l’autre à se mobiliser dans la relation et à sortir des scriptes prévisibles ?

En quatre ans de formation, à force de traversées, peu à peu mon attention s’est déplacée dans d’autres espaces. J’étais source et ressource de mes expériences, de l’exploration découlait un enseignement, je recevais ce dont j’avais besoin. Je prenais peu à peu conscience d’un espace d’intériorité, d’où émergeait un monde sensoriel, émotionnel, de pensées, d’images, de textures… tout un univers intime qui m’était propre et dont moi seule connaissais le chemin. J’apprenais à sentir mon corps comme vecteur d’être là, à soi et aux autres : ma façon unique d’être là, de respirer, de sentir, de ressentir… d’imaginer, de désirer, de bouger, de toucher, d’aimer… et de percevoir ce qui m’entourait. Et, en même temps, je commençais à réaliser qu’existait en moi un espace de grande fragilité, extrêmement intime :

là, où je suis la plus vulnérable, là où je suis aussi la plus vibrante, là où je me relie au vivant… là où jaillit la source de mes désirs. De là, j’ai l’élan d’entrer dans une danse au contact de ce qui m’entoure et en interaction avec les autres sans jamais cesser de réajuster le rythme et l’espace nécessaires à laisser libre ce qui circule en nous et entre nous. (Fayet, s.d., para. 1)

Ma place et ma vision du monde se transformaient au fil du temps. Je n’habitais plus un corps soumis à des dictats externes, mais j’étais matière vivante d’une richesse insoupçonnée. Mon corps était multidimensionnel et encore bien plus que cela. Il était le canal d’une énergie vivante à la source de ma créativité. Mon corps était donc sujet de toutes mes expériences de vie. Il était présent dans la relation à l’autre et était toujours dans un jeu de réharmonisation avec la nature qui l’entourait, avec une visée d’homéostasie, pour bénéficier d’un flux d’énergie propice à l’évolution inéluctable de chaque être humain. L’immersion en mon corps m’invitait aussi à reconnaitre mon ignorance du corps de l’autre et de son univers intime qui, seulement à priori, me ressemble. Dès lors, je me suis interrogée en quoi ces découvertes allaient modifier mon approche.

Et vous, où est-ce que ce voyage vous emmène ? Qu’est-ce qui se passe pour vous ? Où est-ce que mon histoire rencontre la vôtre ? Est-ce que la relation à votre corps se modifie quelque peu ? Prenez le temps d’écouter, laissez passer le « blabla intempestif » de votre mental, et sentez juste les mots de votre corps, écrivez-les si l’élan est là ou mieux encore dessinez les mouvements de votre corps.

Processus d’incorporation de l’éducation somatique

D’abord les explorations ont suscité un émerveillement devant les richesses propres à mon corps, m’ont donné envie de le respecter et d’en prendre soin. J’ai dès lors commencé à concevoir une approche dans le domaine de la santé sexuelle où le corps est le point nodal de l’expérience et sa perspective est un chemin d’émerveillement. Le corps ouvre le passage à explorer son univers intime : les émotions, le cœur, l’imaginaire, les organes de vie, les sens et le flux. Il est question d’un accompagnement à l’intime avec le soutien de l’éducation somatique, comme je l’ai pratiquée lors de ma formation « Matières, Arts Somatiques » qui invite à une immersion en son corps, à la source d’un savoir par l’expérience et oser se dévoiler à travers l’intermodalité artistique.

L’éducation somatique regroupe plusieurs approchent qui visent toute à développer une plus grande conscience corporelle à travers des expériences personnelles. Ces pratiques ont commencé à se développer en Europe il y près de cent ans. Ses fondateurs sont F. Mathias Alexander et Moshé Feldendrais. Les différentes approches font référence à la notion de « soma » se rapportant à l’expérience totale du corps vécu de l’intérieur. Les activités proposées sont toujours expérientielles pour que l’enseignement reçu découle d’une expérience subjective et non de connaissances apprises. Cette pratique ouvre l’espace du corps comme un organisme vivant capable d’apprendre.

L’éducation somatique proposée par Anne Expert s’inspire du Body-Mind Centering développé par Bonnie Bainbridge Cohen en Californie. Cette pratique mène à une intelligence corporelle intime à laquelle il est possible de faire confiance, cela nous ouvre la possibilité d’habiter notre corps, de construire notre propre schéma corporel et aussi de créer de nouvelles formes d’expression à travers la voix, le mouvement, la peinture. Ainsi, l’expérience somatique nous invite à ouvrir des espaces du corps en conscience où tout part de soi en lien avec la nature qui nous entoure.

Un savoir appris intellectuellement et codifié par des normes extérieures est aussi fortement utile, mais apprendre à travers l’exploration est d’un autre registre : sentir les choses, aller à la source de ce que cela fait vivre à l’intérieur amène l’expérience d’un savoir en mouvement, qui appelle à se transformer et prendre forme dans la matière vivante en lien avec soi et en résonance à son histoire personnelle. Ce savoir expérientiel devient dès lors une richesse pour la communauté comme connaissance singulière à partager dans une vision de co-construction de la réalité du monde.

Par exemple, pour connaitre les organes sexuels, nous pouvons étudier l’anatomie ou la physiologie. Les parties du corps intime sont alors bien découpées et identifiées. Nous pouvons aussi échanger verbalement autour des organes sexuels. Les mots seront ainsi partagés et inscrits à un niveau mental. Mais il ne s’agira que de définitions intellectuelles et de partages verbaux au niveau d’un sens commun, et non d’un sens de soi et de sensations personnelles. Avec l’éducation somatique, le corps est abordé en tant que corps vécu, vivant et sensible plutôt que corps objet et fonctionnel. Le soma, le corps vécu au « Je », c’est l’expérience du vivant à la première personne. La conscience du corps prime sur l’étude de la forme ou de la mécanique du corps, de l’objet étudié de l’extérieur à la troisième personne.

Accompagnement à l’intime

Ateliers pour les femmes en situation de handicap

Forte de cette expérience, je propose des ateliers sur une journée pour explorer l’intime entre femmes en petit groupe (maximum 6 participantes). Après l’accueil, nous prenons le temps d’arriver, de nous regarder et de prendre place ici et maintenant. Cela passe par la méditation à laquelle s’ajoutent quelques mots pour me permettre de sentir où chacune en est. Le déroulement de la journée est présenté aux femmes avec des images. J’indique aux participantes les quelques règles de l’atelier. Elles sont notamment invitées à ne s’engager dans les activités que si celles-ci leur conviennent. J’encourage les participantes à exprimer leur refus si la situation les rend mal à l’aise.

En fonction du thème de l’atelier, je choisis certaines « portes d’entrée » du corps pour accéder à l’intime. Si je prends le squelette par exemple, je vais proposer différentes images pour ensuite inviter les femmes à plonger dans leur corps à travers la visualisation, le toucher (le plus souvent en autotoucher) et le mouvement. Un espace-temps est à disposition pour explorer son squelette : sa forme, sa texture, ses couleurs, ses mouvements, son histoire… Viens, ensuite l’invitation à se dévoiler à travers l’intermodalité artistique, c’est-à-dire la possibilité de s’exprimer hors des mots. Non seulement cela est accessible à toutes, à la différence du langage verbal, mais cela ouvre aussi l’accès à de nouvelles perceptions. L’expression créative donne du sens et ancre également l’expérience vécue de façon ludique par le dessin, l’écriture, le collage, le modelage et la peinture. Le rendu obtenu, même s’il est toujours surprenant, n’a que peu d’importance en comparaison du processus global. De plus, lorsqu’il s’agit de sons ou de mouvements, la création est éphémère. La pratique somatique ouvre l’espace à être plus disponible à l’écoute de soi, de l’autre et de l’univers. Elle cultive notre capacité à vivre de plus en plus dans un état de présence, de fluidité et de joie. Elle nous rend disponibles à l’imprévisible et facilite l’inspiration.

Au fil des ateliers, j’ai réalisé qu’un autre changement décisif dans les modalités de mon intervention était déjà là, celui de commencer à imaginer l’accompagnement à l’intime comme une rencontre à son « soi inconnu », à sa vie corporelle qui peut être perpétuellement explorée. Une rencontre à cet « autre soi » qui se déploie dans un univers très différent, comme s’il venait d’une autre planète. De nouvelles questions ont surgi auxquelles j’ai dû réfléchir.

J’étais assez claire avec mon chemin parcouru. L’alliance avec mon corps était là et je pouvais compter sur lui pour ouvrir des espaces d’exploration à l’intime, au sens explicité en introduction de ce texte. J’imagine même aller plus loin en proposant des expériences de toucher partagées. Cependant, très vite, je me suis positionnée : seule, j’animerai uniquement des ateliers avec des femmes ; n’ayant pas l’expérience intime du ressenti corporel masculin, je n’ai pas les clés pour accompagner des groupes d’hommes en situation de handicap. Lorsque nous nous retrouvons entre femmes, je pose un cadre ouvert, non-jugeant et bienveillant à partir duquel de nouveaux espaces de l’intime peuvent être explorés en toute sécurité.

Initiation des équipes éducatives

Qu’en est-il des équipes éducatives ? Comment leur demander d’ouvrir davantage leur modèle d’accompagnement à l’intime et de soutenir toute personne désireuse de vivre des expériences ? Ne sont-elles pas déjà suffisamment bousculées par les formes multiples de rencontres, également sur internet, les revendications portées par la communauté LGBTQIA+ contre les discriminations, dont celle de considérer les variations de l’identité de genre et du développement sexuel comme une richesse, le droit à une sexualité axée sur le plaisir pour tout le monde, ainsi que par la bataille des femmes contre les violences sexuelles et sexistes ?

J’ai rapidement réalisé à quel point il était nécessaire de proposer des formations à l’intention des équipes éducatives pour leur offrir, entre autres, des espaces d’expression libre sur leur vécu professionnel en lien avec l’intime dans son sens large. Je suis à chaque fois surprise de constater le manque dans ce domaine. Dans les formations de base, il est souvent question de proxémie, comprise ici comme l’art d’adopter « la juste » distance professionnelle. Cependant, rares sont les réflexions concernant la posture requise par les professionnelles et professionnels pour rencontrer l’autre dans sa sphère intime, bien que ce soit au cœur de la relation socioéducative. Conscientiser l’espace et les frontières de l’intime est sans doute un des gros tabous des métiers orientés vers l’accompagnement des personnes.

C’est pour cette raison que je propose, comme point de départ de la formation, de passer par le corps pour aller sentir où il s’exprime à l’intérieur de soi, ainsi que la manière et l’ouverture avec laquelle il se manifeste lors de la rencontre avec autrui. Ainsi, il est possible de prendre conscience que le corps est toujours animé par ce qui se crée entre les personnes. C’est une source d’informations importante, et savoir l’écouter permet d’être connecté à ce qui est présent ici et maintenant. C’est pourquoi, d’une part, je propose aux équipes éducatives de faire alliance individuellement avec leur propre corps par des exercices d’ancrage et d’alignement, d’autre part, je les encourage à réfléchir en groupe à un projet d’accompagnement de l’intime en créant leur carnet d’activités. Ainsi, à travers différentes explorations, je les invite à développer un état corporel de présence à soi et à l’autre, pour ensuite être capables d’entrer en relation avec les bénéficiaires et oser accompagner chaque individu dans le domaine de la santé sexuelle, en complémentarité des spécialistes, afin de garantir l’application des droits sexuels.

Le dénominateur commun à toutes les professions socioéducatives est la nécessité d’accueillir l’émergence du corps, qui donne naissance au sens de soi, et ainsi autoriser un accompagnement avec la personne qui est là, à laisser la place à cet autre riche d’expériences uniques et d’un univers intime propre. Dès lors, il est possible de faire exister l’intime, non pas en termes de concepts, mais comme une dimension vivante de l’être humain à partager dans différents contextes, sous de multiples formes et dans un système coopératif au sein de l’équipe éducative, en y intégrant évidemment les familles. En proposant régulièrement des temps de pratique pour explorer les différents aspects de l’intime, il est possible d’accompagner tout le monde vers l’autodécouverte de ses sensations, de son imaginaire, de son flux, de son mouvement, de son désir… et de développer une meilleure connaissance de sa sphère intime.

Points forts d’une approche corporelle

En guise de conclusion, j’aimerais mettre en évidence les points forts d’une approche somatique dans le domaine de l’intime. Le corps est le point nodal de l’expérience, tout passe par lui, à travers lui. Il est source et ressource de tout ce qui nous anime. Il nous informe en permanence à travers nos sensations et nos ressentis, entre autres, sur nos limites depuis notre propre expérience. Plus besoin donc d’aller chercher une validation à l’extérieur pour savoir et prendre la responsabilité de ce qui est accepté et ce qui ne l’est pas. Les droits, les normes et les conventions sautent. Il est le garant de plus de liberté dans la relation. Les explorations somatiques sont fondatrices de l’estime de soi dans le cheminement du consentement libre et éclairé.

En plus d’être un allié, le corps ouvre un espace de créativité, de ressources et d’enseignement. S’ancrer, se rencontrer et habiter sa sphère intime – être en soi, avant d’aller vers les autres – facilite un positionnement clair dans le domaine de l’intime. La conscience du corps guide les expériences et met en pratique l’autodétermination, que ce soit par la prise de responsabilité, d’autonomie ou d’indépendance. En outre, l’intelligence corporelle intime invite à s’affirmer, à s’engager pleinement dans des expériences, à vivre librement en harmonie avec les autres et la nature.

Qu’avez-vous ressenti de lire un article en présence à votre corps ? Est-ce que cela a changé quelque chose ? Comment avez-vous vécu votre (première) expérience somatique ? Quelles nouvelles questions ont émergé ? Comment pensez-vous donner suite à ce qui commence à apparaitre en vous ? Avec qui allez-vous le partager ?

Autrice

Christine Fayet
Spécialiste en Santé Sexuelle

contact@christinefayet.com

www.sphereintime.com

Références et ressources pour aller plus loin

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Bainbridge Cohen, B. (2002), Sentir, Ressentir et Agir. Contredanse.

Damasio, A. (1999). Le sentiment même de soi : corps, émotion et conscience. Odile Jacob.

Fayet, C. (2022). Vers l’autodécouverte de l’intime. Reiso, (2022). https://www.reiso.org/articles/themes/pratiques/8854-vers-l-auto-decouverte-de-l-intime

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Froidevaux-Metterie, C. (2018) Le corps des femmes : la bataille de l’intime. Philosophie Magazine Editeur.

Juliens, C (Ed.). (2016). Le corps intime — La formation corporelle des soignants. Seli Arslan

Husquinet, H. (2018). Du corps intime au corps social : pratiques somatiques et pensée critique. Dialogue avec Sylvie Fortin. Collectif contre les violences familiales et l’exclusion. https://danse.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/41/2019/01/Pratiques-somatiques-et-pense%CC%81e-critique.-Dialogue-avec-Sylvie-Fortin-He%CC%81loi%CC%88se-Husquinet.-1-1.pdf

Osho (2012). Intimité. ALMASTA Editions.

Siegrist, D. (2000). Oser être femme. Handicaps et identité féminine. Desclée de Brouwer.