Quelles représentations ont les femmes avec une déficience intellectuelle de leur sexualité ?
Résumé
Les femmes avec déficience intellectuelle (DI) font face à de nombreuses représentations négatives persistantes concernant leur intimité, ce qui a un impact négatif sur leur santé sexuelle. Cet article est un résumé d’un travail plus large qui a visé à identifier les représentations de femmes vivant avec une DI sur leur sexualité. Pour y répondre, 17 articles comprenant les propos des personnes concernées ont été analysés. Les femmes avec DI ont des connaissances très pauvres en la matière et ont souvent fait des expériences négatives. Ces lacunes sont notamment dues à l’absence d’informations adaptées. L’accompagnement dans cette sphère intime représente un défi pour leur entourage, mais il est primordial de favoriser un accès adapté aux informations et un accompagnement selon leurs besoins. Les femmes avec une DI éprouvent une volonté d’autodétermination qui se traduit par un désir d’atteindre une autonomie sexuelle et par l’affirmation de leur orientation sexuelle.
Zusammenfassung
Frauen mit geistiger Beeinträchtigung sind mit vielen hartnäckigen negativen Vorstellungen über ihre Intimität konfrontiert, was sich negativ auf ihre sexuelle Gesundheit auswirkt. Dieser Artikel ist eine Zusammenfassung einer umfassenderen Arbeit, in der die Vorstellungen ermittelt wurden, die Frauen mit geistiger Beeinträchtigung über ihre Sexualität haben. Um diese Frage zu beantworten, wurden 17 Artikel mit Aussagen von Betroffenen analysiert. Frauen mit geistiger Beeinträchtigung verfügen über ein sehr geringes Wissen in diesem Bereich und haben oft negative Erfahrungen gemacht. Diese Wissenslücken sind unter anderem auf den Mangel an geeigneten Informationen zurückzuführen. Die Begleitung bezüglich ihrer Intimität ist eine Herausforderung für ihr Umfeld. Aber es ist von grösster Bedeutung, einen angemessenen Zugang zu Informationen und eine bedürfnisgerechte Begleitung zu fördern. Frauen mit geistiger Beeinträchtigung verspüren einen Willen zur Selbstbestimmung, der sich in dem Wunsch nach sexueller Autonomie und der Bestätigung ihrer sexuellen Orientierung äussert.
Keywords: déficience intellectuelle, femme, sexualité, représentation mentale / kognitive Beeinträchtigung, Frau, Sexualität, geistige Vorstellung
DOI: https://doi.org/10.57161/r2023-03-02
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 13, 03/2023.
L’entrée dans la vie adulte comporte son lot de changements et la connaissance de son corps en fait partie intégrante. Durant cette période, les femmes en particulier vivent de nombreux changements physiques qui contribuent à la création d’une représentation de leur corps et de leur sexualité en tant qu’adultes. Les personnes avec déficience intellectuelle (DI) nécessitent un accompagnement spécifique dans tous les domaines de la vie et par conséquent, dans la compréhension de leur sexualité également. Afin de mener au mieux le soutien à cette sphère intime, il est nécessaire de prendre en compte les besoins, les ressources et les désirs des personnes concernées. Ce travail s’est concentré sur l’analyse des discours des femmes avec DI sur leur sexualité. Pour ce faire, 17 articles datés de 2006 à 2020 ont été analysés afin d’en faire ressortir la façon dont ces femmes se représentent cet aspect de leur vie.
La santé sexuelle se définit comme « un état de bienêtre physique, émotionnel, mental et social en rapport avec la sexualité, qui ne se borne pas seulement à l’absence de maladie, dysfonctionnement ou infirmités » (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2012, p. 9). Aussi, la santé sexuelle est une conception multidimensionnelle qui dépasse de domaine de la sexualité. Elle est considérée comme une base pour le développement personnel et, dans une approche systémique, elle est influencée par des facteurs individuels et environnementaux. La sexualité peut être comprise comme :
un aspect central de l’être humain tout au long de la vie et englobe le sexe, l’identité et le rôle de l’homme et de la femme, l’orientation sexuelle, l’érotisme, l’intimité et la procréation. Elle se vit et s’exprime à travers les pensées, les fantasmes, le désir et les convictions, attitudes, valeurs, comportements, pratiques, rôles et relations.
(OMS, 2012, p. ix)
La représentation des femmes avec DI sur leur sexualité repose ici sur des aspects tels que les expériences sexuelles, l’identité et le rôle des genres, la satisfaction, la reproduction et l’orientation sexuelle. La santé sexuelle est utile pour la compréhension de l’influence de l’entourage des personnes concernées sur leur sexualité.
Pendant longtemps, les droits à la sexualité pour les personnes avec DI ont été négligés (Ditchman et al., 2017). Cela a eu de nombreux impacts néfastes notamment sur l’estime de soi, les relations, le comportement social ou encore sur l’identité sexuelle de ces personnes. Cette négation des droits s’est traduite en outre par l’absence d’accès à une éducation sexuelle adaptée. Ce manque d’informations a parfois pour conséquence de rendre la personne plus vulnérable. Elle pourrait s’engager dans des relations non pas fondées sur le désir, mais plutôt sur le sentiment de solitude ou induite par la manipulation d’une personne tierce. Depuis une cinquantaine d’années, les droits de pleine participation à la société des personnes avec DI ont été renforcés et ceux-ci comprennent la participation comme individus sexuels ayant droit à la dignité et au respect ainsi qu’à la vie privée, la confidentialité et la liberté d’association (AAIDD, 2013).
L’absence de droits en matière de sexualité́ ne peut en aucun cas être justifiée par la présence d’une déficience intellectuelle, quelle que soit sa sévérité (AAIDD, 2013). L’accès aux informations nécessaires pour exercer une sexualité́ saine semble ainsi un point essentiel en matière de droits sexuels. L’accès universel à la santé sexuelle et reproductive représente la possibilité pour tout individu de recevoir des informations, un dépistage ou des soins adaptés à ses besoins à partir de la maturité sexuelle. Ce droit est indépendant des caractéristiques (âge, sexe, classe sociale, lieu de vie, origine ethnique) de la personne et assure la faculté de choisir le nombre d’enfants qu’elle ou il veut et quand, de recevoir son enfant dans de bonnes conditions, de prévenir et soigner les pathologies de l’appareil reproducteur (infertilité, infections sexuellement transmissibles, cancer) ou encore de profiter de relations sexuelles saines qui permettent d’enrichir sa qualité de vie et ses rapports sociaux (OMS, 2012). Cette conception rejoint les lois en matière de procréation qui assurent le droit fondamental de tout individu de choisir librement et avec discernement le nombre d’enfants qu’elle ou il désire, de recevoir toutes les informations essentielles et d’avoir accès aux meilleures conditions pour une sexualité et une reproduction de qualité (OMS, 2012).
L’absence de droits en matière de sexualité́ ne peut en aucun cas être justifiée par la présence d’une déficience intellectuelle, quelle que soit sa sévérité
La représentation sociale renvoie à un « système d’interprétation de la réalité qui régit les relations des individus à leur environnement physique et social, elle va déterminer leurs comportements ou leurs pratiques » (Abric, 2016, p. 18). Cette définition intègre les représentations que l’entourage ainsi que la société de manière générale ont de la sexualité des femmes avec DI. Ces représentations de l’environnement sur le comportement sexuel des femmes avec DI influencent leur perception de leur sexualité, mais aussi la façon dont elles l’expriment. Les attitudes des parents, des professionnelles et professionnels ainsi que de la population à propos de la sexualité des personnes avec DI sont dans l’ensemble positives (Tamas et al., 2019). De manière générale, la population a une attitude plus libérale que les parents et les spécialistes envers la sexualité des femmes avec DI sur des thèmes tels que les droits sexuels ou encore les comportements parentaux et sexuels non reproductifs. Cette différence peut probablement s’expliquer par le fait que la société en général a peu de contact avec les personnes concernées. Au contraire, Ditchman et al. (2017) suggèrent que le degré de contact et la familiarité ont une influence positive sur les attitudes, surtout lorsque les expériences antérieures étaient favorables. Selon les mêmes auteurs, l’orientation culturelle aurait également un impact sur les attitudes de la population concernant la sexualité des personnes avec DI. Les parents de ces dernières présentent une attitude moins ouverte concernant la sexualité de leur enfant. En effet, ils sont les principaux aidants et ont peur que leur enfant exprime sa sexualité de manière socialement non acceptable ou qu’il soit victime d’abus sexuel. Ceci expliquerait pourquoi les parents évitent de parler de sexualité à leur enfant et ont un comportement restrictif (Ditchman et al., 2017). Les parents auraient tendance à avoir une attitude plus positive lorsqu’il s’agit de la sexualité des hommes avec DI.
Ces représentations de l’environnement sur le comportement sexuel des femmes avec DI influencent leur perception de leur sexualité, mais aussi la façon dont elles l’expriment
Les personnes avec DI se voient parfois refuser l’accès à un comportement sexuel et à l’exercice de leur sexualité en raison des représentations de leurs parents, des spécialistes et de la société. Les femmes en particulier sont perçues comme naïves, et leur sexualité est souvent réduite à l’hygiène intime ainsi qu’à la protection contre les maladies sexuellement transmissibles ou une éventuelle grossesse (Tamas et al., 2019). Ces pratiques sont contraires aux droits sexuels des personnes avec DI développés par l’AAIDD (2013). Ces obstacles dus à la perception de la société ont probablement un impact sur la façon dont les femmes avec DI s’imaginent cet aspect intime. La façon dont la société se représente l’incapacité peut s’avérer erronée par rapport à ce que les femmes avec DI vivent et attendent réellement (Bernert, 2011). Ainsi, il est primordial de prendre en compte ce qu’elles disent et pensent de leur propre sexualité.
Il est ressorti de l’analyse de ces articles que les femmes avec DI ont généralement peu de connaissances sur la sexualité. Leurs définitions comprennent principalement les notions de sécurité et de contraception. Elles mentionnent également l’importance de la relation à l’autre et du rôle des genres. (Bernert & Ogletree, 2013). Leurs discours sur leur comportement sexuel reposent sur la prévention des conséquences négatives et sur leur rôle en tant que femme dans la relation. En revanche, la notion de plaisir n’est pas présente dans les déclarations de ces femmes à propos de leur sexualité. Cette absence dans leur discours ne correspond pas à la définition de la santé sexuelle de l’OMS (2012) qui ne se résume pas à l’absence de maladies, mais inclut également le plaisir dans la sexualité. Une cause de l’absence de cet élément dans leurs définitions peut se trouver dans l’éducation sexuelle que les femmes reçoivent et qui est basée principalement sur la contraception et la protection des maladies sexuellement transmissibles. En effet, leur principale source d’information est l’éducation sexuelle bien que le contenu ne corresponde pas à leurs besoins et à leurs attentes (Frawley & Wilson, 2016). Ce manque d’accessibilité aux informations va à l’encontre de la résolution de l’OMS, d’assurer l’accès universel à la santé sexuelle (2012), et qui comprend le droit pour tout individu de recevoir des informations adaptées à ses besoins.
La plupart de ces femmes ont un accès limité aux expériences sexuelles et, de ce fait, manquent de connaissances en la matière. Elles expliquent cela en raison de leur dépendance à leurs parents et au fait qu’elles ont par conséquent besoin de leur autorisation pour fréquenter quelqu’un (Frawley & Wilson, 2016). La plupart des femmes ayant partagé leur discours, présenté dans les articles analysés, ont une perception négative de la sexualité. Cela s’expliquerait par plusieurs facteurs. D’une part, par le fait qu’elles vivent dans des milieux mettant l’accent sur l’incapacité ce qui leur renverrait une image d’elles-mêmes très négative, qui aurait ensuite un impact sur leur perception de leur sexualité. De plus, les vécus de harcèlement en raison de leur handicap ont également eu un impact sur leur estime d’elles-mêmes. D’autre part, leur perception négative envers la sexualité s’expliquerait par la peur des éventuelles conséquences négatives de l’acte sexuel (Bernert & Ogletree, 2013). Enfin, les restrictions politiques et institutionnelles en vigueur dans les lieux de vie de ces femmes influencent grandement leur perception de leur sexualité.
Les femmes avec DI revendiquent aujourd’hui leur autonomie sexuelle en lien avec leur identité de femme adulte (Bernert & Ogletree, 2013). Ce sentiment d’autodétermination se traduit par la volonté de gérer leur sexualité en décidant de modérer, planifier ou initier des relations sexuelles, par le choix de l’abstinence ou encore par la décision de se marier, de divorcer ou de devenir parents (Bernert, 2011). Elles revendiquent également leur implication et leur consentement dans le choix d’une contraception, choix qui revient encore trop souvent aux parents, à l’équipe éducative ou aux médecins. Cette volonté d’exprimer leur autodétermination se retrouve aussi dans le choix d’un partenaire ou d’une partenaire sexuelle. Une minorité de femmes avec DI semble se sentir libres dans l’expression de leur orientation sexuelle et se déclarent bisexuelles. En revanche, la plupart des femmes avec DI lesbiennes ou bisexuelles expriment de nombreuses difficultés malgré le soutien de leur entourage. Elles n’ont pas de modèle à suivre et font souvent face à une discrimination à deux niveaux, soit en lien avec leur déficience intellectuelle et leur orientation sexuelle (Stoffelen et al., 2018).
Ces résultats permettent de dresser un aperçu de la réalité de la sexualité de ces femmes. Ils permettent de relever certaines lacunes au niveau de l’accompagnement et de proposer des pistes d’intervention pour améliorer leur qualité de vie. Il est important de d’appliquer les droits sexuels pour toutes et tous. Cela passe notamment par l’information et le soutien. Comme l’éducation sexuelle est la source principale d’informations pour les femmes avec DI, il serait primordial d’en favoriser l’accès d’une manière adaptée et de proposer cette formation au-delà de la scolarité obligatoire. Il serait également judicieux que ces formations favorisent l’autodétermination en soutenant la prise de position de ces femmes en tant qu’agent qui éprouve du plaisir. Cette notion semble largement absente des discours relatés par les articles recensés. En outre, il faudrait que l’accent soit mis sur les aspects positifs de la sexualité afin d’atténuer voire d’éliminer les représentations négatives qui peuvent être des barrières à la sexualité de ces femmes. De façon générale, pour un accompagnement de qualité, le soutien doit être basé sur les besoins et les désirs des personnes en question tout en tenant compte de l’unicité de chacune.
Pour un accompagnement de qualité, le soutien doit être basé sur les besoins et les désirs des personnes en question tout en tenant compte de l’unicité de chacune
Des mesures doivent également être mises en place pour la prévention d’abus sexuel et pour le soutien en cas d’abus ou de harcèlement. Enfin, pour soutenir l’autodétermination des femmes avec DI, il est important de leur permettre de s’impliquer dans les décisions qui concernent leur sexualité, notamment au niveau du choix d’un moyen de contraception, mais également dans le choix de partenaires ou encore d’une activité sexuelle.
Cette thématique semble être importante à développer dans notre pays et hors des frontières, dans la formation autant que dans les institutions. C’est par de tels changements que les représentations sociales, l’information, la reconnaissance et l’accompagnement dans leur sexualité des femmes avec DI pourra évoluer.
Lisa Genoud Université de Fribourg |
AAIDD. (2013). Sexuality. https://www.aaidd.org/news-policy/policy/position-statements/sexuality
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Ditchman, N., Easton, A. B., Batchos, E., Rafajko, E. & Shah, N. (2017). The Impact of Culture on Attitudes toward the Sexuality of People with Intellectual Disabilities. Sexuality and Disability, 35(2), 245–260. https://www.doi.org/10.1007/s11195-017-9484-x Frawley, P. & Wilson, N. J. (2016). Young people with intellectual disability talking about sexuality education and information. Sexuality and Disability, 34(4), 469-484. https://doi.org/10.1007/s11195-016-9460-x
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Stoffelen, J. M. T., Schaafsma, D., Kok, G., Curfs, L. M. G., (2018). Women Who Love: An Explorative Study on Experiences of Lesbian and Bisexual Women with a Mild Intellectual Disability in The Netherlands, Sexuality and Disability, 36, 249-264. https://doi.org/10.1007/s11195-018-9519-y
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