DOI : https://doi.org/10.57161/r2023-01-09
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 13, 01/2023
Il y a quelque chose, là, qui m’étouffe. Qui bloque mes mots quand je veux parler, qui m’empêche de penser, qui me fait paniquer, qui me fait mal. Ça me donne envie de hurler, de tout lancer par terre, de partir en courant, ou juste de pleurer… Mais je n’y arrive pas. Je ne peux pas. Ça ne se fait pas. Je ne sais plus quoi faire, que faire pour exister…
Pendant longtemps, je ne savais pas pourquoi je n’arrivais pas à parler. Je savais seulement que je ne pouvais qu’écrire, parce que le papier ne demande aucune explication, aucune justification. Parce que je garde la maîtrise de ce que je transmets. Parce que les mots écrits crient en silence.
J’étais une petite fille calme, et surtout, silencieuse. Dans ma chambre, le seul son que je produisais était celui des livres dont je tournais délicatement les pages. De mes lèvres, les seuls mots qui voulaient bien sortir semblaient s’excuser de faire du bruit. Le silence ne faisait pas que souder mes lèvres. Il m’habitait, il me hantait. Il rendait chaque bruit envahissant, chaque son presque douloureux. Les autres enfants étaient tellement bruyants. Les adultes aussi, à leur manière, toujours pressés de tout accomplir.
Faut-il faire du bruit pour montrer que l’on est en vie ?
Si je ne prends pas de place en parlant, est-ce que je cesse tout simplement d’exister ?
Par moments, j’aimerais être sourde, pour ne plus entendre tout le bruit que fait le monde, et muette pour que l’on cesse d’exiger de moi que je parle. Parce qu’il y a parfois quelque chose, là, qui m’étouffe. Qui bloque mes mots quand je veux parler, qui m’empêche de penser, qui me fait paniquer, qui me fait mal.
Un jour, il y a quelques années, j’ai appris que cette chose s’appelle autisme. Qu’elle rend le monde différent, à mes yeux et mes oreilles, sous mes doigts et dans ma bouche. J’ai appris que je pouvais trouver ma propre place, et qu’il n’y a pas que les mots prononcés à haute voix qui permettent de communiquer.
Un jour, il y a quelques années, j’ai appris que je n’étais pas seule. Et le monde s’est paré de nouvelles couleurs.
En cherchant ma voie, j’ai trouvé ma voix. Sur cette voie, le diagnostic de Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA). En parallèle, des études, un Bachelor en pédagogie curative et éducation spécialisée, à l’Université de Fribourg. Mais, quelque part entre ces deux mondes, quelque chose manquait encore.
D’un côté, la « personne concernée », avec son vécu. De l’autre, l’éducatrice spécialisée, avec ses connaissances théoriques et pratiques. Et au milieu, moi, avec mes souffrances et mes ressources, mon vécu et mes connaissances.
C’est ainsi que je me suis tournée vers la pair-aidance professionnelle, un chemin qui relie les deux mondes. Quand j’exerce comme pair-aidante, je suis à la fois autiste et professionnelle. Je rassemble mon vécu et mes connaissances pour les mettre au service d’autres personnes autistes. Je partage les souffrances et transmets des ressources.
Aujourd’hui, les mots se bloquent encore par moments, l’autisme m’empêche parfois de parler. Mais je n’étouffe plus, parce que j’arpente un chemin différent, le mien. Parce que non, il n’y a pas besoin de parler pour exister.
Romane Garcia Éducatrice spécialisée Pair-aidante autiste professionnelle Communauté de Pairs Autistes Prof. |
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