Le recueil de cinq parcours de vie, tous singuliers et instructifs
Résumé
La Revue suisse de pédagogie spécialisée a souhaité donner la parole à des personnes en situation de handicap pour qu’elles puissent expliquer elles-mêmes ce que cela signifie de vivre avec un handicap. Cinq personnes ont accepté de témoigner de leur parcours de vie et de leur ressenti. Nous remercions Elvis Milano, Félicie*, Landry Fragnière, Philippe Aubert et Sophie* pour leur confiance et leur engagement. Les témoignages uniques représentent différents handicaps : trouble du spectre de l’autisme, déficience intellectuelle, troubles moteurs, troubles de la communication, troubles psychiques. Ainsi, il apparait clairement que, derrière le terme singulier de « handicap » se cachent des vécus complexes et variés.
Zusammenfassung
Die «Revue suisse de pédagogie spécialisée» wollte Menschen mit Behinderungen selbst zu Wort kommen lassen – damit sie aus ihrer eigenen Sicht erzählen können, was es bedeutet, mit einer Behinderung zu leben. Fünf Personen erklärten sich bereit, von ihren Lebenswegen und Erfahrungen zu erzählen. Wir bedanken uns bei Elvis Milano, Félicie*, Landry Fragnière, Philippe Aubert und Sophie* für ihr Vertrauen und ihr Engagement. Die einzigartigen Erfahrungsberichte zeigen unterschiedliche Behinderungen: Autismus-Spektrum-Störung, kognitive, motorische und kommunikative Beeinträchtigungen sowie psychische Störungen. So wird deutlich, dass sich hinter dem scheinbar einheitlichen Begriff «Behinderung» sehr unterschiedliche und komplexe Lebensrealitäten verbergen.
Keywords: biographie, handicap, société / Behinderung, Biographie, Gesellschaft
DOI: https://doi.org/10.57161/r2025-04-03
Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 15, 04/2025
Mi chiamo Elvis Milano. Sì, come il cantante e come la città, e no, non è un nome d'arte. Sono nato a Bellinzona il 22 dicembre 1986. Ho trascorso l'infanzia a Sementina per l'asilo e le elementari, per poi frequentare le scuole medie a Giubiasco. Ho proseguito gli studi presso la Scuola Arti e Mestieri di Trevano, conseguendo la maturità professionale come elettronico multimediale. In seguito, mi sono iscritto al Dipartimento tecnologie innovative della SUPSI (Scuola universitaria professionale della Svizzera Italiana) per il Bachelor di ingegneria elettronica, ma non ho completato il percorso.
Dal 2016, lavoro a Lugano come assistente grafico presso il Laboratorio protetto Laser della Fondazione Diamante. Ultimamente, però, sto valutando la possibilità di nuove opportunità, nel libero mercato. Dal 2019 risiedo a Lugano in un bilocale, con il supporto abitativo del Foyer La Gente, parte della medesima fondazione.
Je m’appelle Elvis Milano. Oui, comme le chanteur et comme la ville, et non, ce n’est pas un nom d’artiste. Je suis né à Bellinzone le 22 décembre 1986. J’ai passé mon enfance à Sementina, où je suis allé à l’école enfantine et primaire, puis je suis allé à Giubasco pour l’école secondaire. J’ai continué mes études au Centre professionnel de Trevano, où j’ai obtenu ma maturité en tant qu’électronicien en multimédia. Je me suis ensuite inscrit au Bachelor d’ingénierie électronique, au sein du département de technologies innovatrices de la Haute école spécialisée de la Suisse italienne (Scuola universitaria professionale della Svizzera italiana [SUPSI]), mais je n’ai pas achevé le cursus.
Depuis 2016, je travaille à Lugano en tant que graphiste assistant à l’atelier protégé Laser de la Fondation Diamante. Parallèlement, je réfléchis à de nouvelles opportunités sur le marché libre. Depuis 2019, je vis dans un appartement à Lugano, avec l’aide au logement du Foyer La Gente, qui fait partie de la même fondation.
Ho scoperto di avere la Sindrome di Asperger [ndr: oggi integrato nei disturbi dello spettro autistico (DSA)], una forma di autismo senza compromissione cognitiva, all'età di 29 anni. Fino a quel momento, mi ero sempre visto come un ragazzo timido, con qualche “rotella fuori posto”. La diagnosi mi è stata comunicata dalla mia consulente AI (ndr: assicurazione invalidità) e, sorprendentemente, non ho provato rabbia. Mi sentivo, e mi sento tuttora, semplicemente me stesso. Solo in seguito ho realizzato che esistevano altre persone con un funzionamento simile al mio. Inoltre, la diagnosi è arrivata in un periodo lavorativo particolarmente impegnativo: un tirocinio in cui mi sentivo completamente trascurato e inattivo.
Dopo averla ricevuta ho preso contatto con la Fondazione ARES (Autismo Risorse e Sviluppo), l’ente di riferimento per l’Autismo per il Canton Ticino, dove ho avuto modo di conoscere il pedagogista Christian Fischer. Con lui, ho intrapreso un percorso di consapevolezza della mia condizione. Grazie a incontri individuali, ho iniziato ad imparare nuove competenze sociali e comunicative. Oggi, per me, vivere con la sindrome di Asperger significa impegnarmi attivamente nella sensibilizzazione delle persone, non solo in merito a questa condizione, ma alle disabilità in generale.
Eppure, ultimamente, la consapevolezza di questa mia condizione tende a svanire, riaffiorando solo nei momenti in cui sono chiamato a informare gli altri. Alla fine, però, la mia identità profonda rimane intatta: ero, sono e sarò sempre Elvis. Questo non sminuisce affatto l'importanza del momento in cui ho ricevuto la diagnosi, che considero comunque un tassello fondamentale del mio percorso.
C’est à 29 ans que j’ai découvert que j’étais atteint du syndrome d’Asperger [ndlr : aujourd’hui intégré dans les troubles du spectre de l’autisme (TSA)], une forme d’autisme sans déficience intellectuelle. Jusqu’ici, je m’étais toujours vu comme un garçon timide, avec une case en moins. Le diagnostic m’a été annoncé par ma conseillère AI (ndlr : assurance-invalidité) et à ma surprise, je n’ai pas éprouvé de colère. Je me sentais, et je me sens aujourd’hui encore, simplement moi-même. C’est seulement plus tard que j’ai réalisé qu’il existait d’autres personnes avec un fonctionnement similaire au mien. Par ailleurs, le diagnostic est arrivé pendant un moment particulièrement difficile au travail : un stage dans lequel je me sentais complètement négligé et sous-stimulé.
Après mon diagnostic, j’ai pris contact avec la Fondazione ARES (Autismo Risorse e Sviluppo), l’organisme tessinois de référence pour l’autisme. J’y ai rencontré l’éducateur Christian Fischer, avec qui j’ai entrepris un parcours de prise de conscience de mon TSA. Grâce à des rendez-vous individuels, j’ai commencé à apprendre de nouvelles compétences sociales et de communication. Aujourd’hui, pour moi, vivre avec le syndrome d’Asperger signifie m’engager activement dans la sensibilisation, non seulement de ce syndrome, mais du handicap en général.
Pourtant, ces derniers temps, ma conscience du TSA a tendance à s’estomper. Je n’y pense que lorsque j’en parle à d’autres personnes. Finalement, mon identité profonde reste intacte : j’étais, je suis et je serai toujours Elvis. Toutefois, cela n’enlève rien à l’importance du jour où j’ai reçu le diagnostic, que je considère comme une étape fondamentale de mon parcours.
Sono una persona onesta, trasparente e sensibile. Esprimo sempre il mio pensiero, pur consapevole delle possibili conseguenze. Professionalmente, ho sviluppato nel tempo una notevole flessibilità, passando da un'attività all'altra e adattandomi facilmente a diverse mansioni.
Je suis une personne honnête, transparente et sensible. Je dis toujours ce que je pense, tout en étant conscient des conséquences possibles. Sur le plan professionnel, j’ai développé au fil du temps une grande flexibilité et je peux passer d’une activité à l’autre en m’adaptant avec facilité à différentes tâches.
Da bambino, nutrivo una profonda diffidenza verso gli altri. Spesso ero vittima di scherzi, anche da parte dei coetanei del vicinato. Non cercavo il contatto, chiedendomi a cosa potesse servire se poi il risultato era sempre un maltrattamento. Questa difficoltà mi ha reso incredibilmente arduo stringere le prime amicizie e conoscere nuove persone, portandomi a rimanere spesso in disparte, per conto mio. Queste iniziali difficoltà sono state superate col tempo, grazie al prezioso sostegno di Christian Fischer e all'aiuto degli educatori e educatrici del Foyer La Gente e del Laboratorio Laser.
Nonostante sia ormai adulto, incontro ancora oggi delle difficoltà nella mia quotidianità. Faccio fatica a cogliere le aspettative altrui e trovo particolarmente difficile programmare i miei impegni a lungo termine, sebbene ultimamente ritenga di essere migliorato su questo aspetto. Ho notato quest'ultima difficoltà in modo evidente durante la pianificazione del lavoro di diploma per il CAS in Arti Performative e Inclusive.
Enfant, j’éprouvais une profonde méfiance envers les autres. J’étais souvent victime de moqueries, même de la part de mes camarades du quartier. Je ne cherchais pas le contact, me demandant à quoi bon s’il en résultait systématiquement de la maltraitance. Me faire des amis et rencontrer de nouvelles personnes s’est avéré extrêmement difficile ; ce qui m’a conduit à rester en retrait, tout seul. Avec le temps, j’ai surmonté ces difficultés initiales, grâce au soutien précieux de Christian Fischer et à l’aide de l’équipe du Foyer La Gente et du laboratoire Laser.
Bien que je sois désormais adulte, je rencontre encore aujourd’hui des difficultés dans mon quotidien. J’ai du mal à comprendre les attentes des autres et je trouve particulièrement difficile de planifier mes engagements sur le long terme. C’est lors de la planification de mon travail de diplôme pour le CAS Performing Arts and Inclusion que j’ai clairement identifié cette dernière difficulté, mais je pense m’être récemment amélioré sur ce point.
Quando non lavoro, mi dedico a diverse passioni: mi piace disegnare, cantare, ballare, scrivere e leggere manga. I manga sono fumetti giapponesi che si leggono dall'alto verso il basso e da destra a sinistra. Ultimamente sto anche imparando a fare cosplay, sperimentando con la macchina da cucire. Il cosplay consiste nell'indossare costumi e interpretare personaggi di videogiochi, fumetti e altro. A casa ho molti libri di disegno, avendo imparato da autodidatta, e ascolto spesso sigle di vecchi cartoni animati o musica dei videogiochi.
Quand je ne travaille pas, je m’adonne à différentes passions : dessin, chant, danse, écriture et lecture de mangas. Les mangas sont les bandes dessinées japonaises qui se lisent de droite à gauche. Dernièrement, j’ai aussi commencé le cosplay, m’essayant à la machine à coudre. Le cosplay consiste à incarner des personnages de jeux vidéos ou de Bd, en portant leur costume, par exemple. J’ai beaucoup de livres de dessin chez moi, car j’ai appris en autodidacte. J’écoute souvent des musiques de vieux dessins animés ou de la musique de jeux vidéos.
Indubbiamente la mia più grande passione è il teatro, perché riesce a unire molti dei miei hobby. Ho scoperto questo mondo grazie al progetto pilota “Il Teatro per le abilità sociali” (sviluppato e condotto dalla Fondazione ARES in collaborazione con l’Accademia Dimitri, scuola di teatro affiliata a SUPSI) in cui, per migliorare le nostre abilità di interazione, abbiamo lavorato sull’espressività del corpo e del movimento, e su esercizi vocali per la modulazione della voce. Dopo questa prima esperienza teatrale, ho partecipato al progetto “Il dono” organizzato da Teatro Danzabile in collaborazione con Autismo Svizzera Italiana, e a “Rito di passaggio”, sempre a cura di ARES e Accademia Dimitri.
Durante la pandemia ho realizzato quanto mi mancasse il teatro, e ho deciso di dedicargli più tempo libero. Dal 2022 faccio parte del gruppo teatrale "Giullari di Gulliver", composto da giovani con e senza diverse disabilità. Nel 2024 ho frequentato il corso CAS Performing Arts and Inclusion (Arti performative e inclusive), organizzato da Teatro Danzabile e dall’Accademia Dimitri.
Mi sento molto vicino al teatro, perché questa forma d'arte mi aiuta a liberare la mente dai pensieri negativi e a non rimuginare troppo sui problemi quotidiani. Le mie esperienze mi hanno insegnato che il teatro genera emozioni, stimola la riflessione su vari argomenti, e avvicina le persone. Inoltre, sul palco si sviluppano un linguaggio non verbale e un dialogo caratterizzati dalle regole non scritte per le quali non importa quanto la situazione sia buffa, surreale o fuori dall'ordinario, tutto si svolge e rimane tra le attrici, gli attori e il pubblico senza giudizio, a differenza di quanto purtroppo accade al di fuori del palcoscenico.
Ma plus grande passion est, sans aucun doute, le théâtre, parce qu’elle rassemble beaucoup de mes passetemps. J’ai découvert le monde du théâtre grâce au projet pilote « Il Teatro per le abilità sociali » (imaginé et mené par la Fondazione ARES en collaboration avec l’Accademia Dimitri, l’école de théâtre affilié à la SUPSI). Dans le but d’améliorer nos capacités d’interaction, nous avons travaillé sur l’expressivité du corps et du mouvement, et sur des exercices vocaux pour la modulation de la voix. Après cette première expérience avec le théâtre, j’ai participé au projet « Il dono » (organisé par le Teatro Danzabile, en collaboration avec Autismo Svizzera Italiana) et au projet « Rito di passagio » (organisé par la Fondazione ARES et l’Accademia Dimitri).
Pendant la pandémie, j’ai pris conscience que le théâtre me manquait énormément et j’ai décidé d’y consacrer une plus grande partie de mon temps libre. En 2022, j’ai rejoint la troupe « Giullari di Gulliver », composée de jeunes avec et sans handicap. En 2024, j’ai suivi le cours CAS Performing Arts and Inclusion, organisé par le Teatro Danzabile et l’Accademia Dimitri.
Je me sens très attaché au théâtre, car cette forme d’art m’aide à libérer mon esprit de mes pensées négatives et à ne pas trop ruminer les problèmes du quotidien. Mes expériences m’ont appris que le théâtre suscite des émotions, stimule la réflexion sur divers sujets et rapproche les gens. De plus, sur la scène, on développe un langage non verbal et un dialogue caractérisé par des règles tacites selon lesquelles, quelle que soit la situation – drôle, surréaliste ou hors du commun – tout se déroule et reste entre les actrices et acteurs ainsi que le public sans jugement, contrairement à ce qui se passe, malheureusement, en dehors de la scène.
Elvis Milano Atelier protégé Laser Fondation Diamante, Lugano |
Je me présente, je m’appelle Félicie. Je suis né en 1960. Mon handicap est la scoliose et, en plus, je suis autiste. Cela a été découvert seulement il y a 5 à 6 ans. Mes parents me disaient tout le temps : « Tu es fou, tu auras l’AI facilement » [ndlr : l’assurance-invalidité]. Je trouve dommage que ma famille considère le handicap comme une honte. C’est exactement ce que je ressens aussi. Le problème est que je supporte de moins en moins de choses : l’excitation dans les transports publics, le bruit dans la rue, les concerts de jazz… Mon handicap m’a fragilisé nerveusement, je ne supporte bientôt plus rien.
De 1975 à 1987, j’ai travaillé à la ferme de mes parents et puis, de 1987 à 1991, comme coupeur de verre dans une entreprise. Je coupais des carreaux de 42 x 26 cm pour faire des montres, qui partaient en Italie, au Japon, en Corée, à Hong Kong, en Chine et aux États-Unis. Cela allait bien, jusqu’au jour où j’ai attrapé une scoliose. J’avais très mal au dos et j’ai dû arrêter. Notre patron nous poussait beaucoup. Nous devions travailler vite, même si la qualité de travail n’était parfois pas très bonne. Mes collègues ne savaient pas que j’avais un handicap. Ils me traitaient mal et me disaient : « Tu te plains tout le temps. » Alors que je ne me plaignais pas, je disais juste ce que je pensais. Les moins bons collègues étaient les Suisses. Les meilleurs étaient les Cap-Verdiens. Ils étaient polis et toujours là pour m’aider quand il le fallait. J’étais plus à l’aise avec eux. Ils sont tous repartis au Cap-Vert. J’avais deux ou trois amis que je voyais au travail. Dans l’usine, il y avait des employés avec un handicap. Ils étaient méprisés par leurs collègues, parce qu’ils n’allaient pas assez vite. Moi, je n’étais pas encore reconnu par l’AI. C’était difficile. J’ai parlé de la situation à mes parents et ils m’ont dit de me taire. Durant trois ans, j’ai beaucoup souffert. Pendant cette période difficile, je cherchais un autre travail. Je savais me débrouiller tout seul. J’ai rempli des papiers, j’ai téléphoné aux entreprises Tetra Pack et Scholler, mais ils me disaient non. C’est alors que les problèmes de dos se sont aggravés.
Le 5 février 1991, j’ai fait une demande écrite à l’AI. C’est mon père qui l’avait remplie. J’ai fait un stage de trois semaines au Commerce de fer à Romont, mais c’était trop dur. Il fallait faire les remplissages et nettoyages. Je n’arrivais pas physiquement. Du 23 novembre 1992 au 23 février 1993, j’ai fait un stage à Polyval. Le 1er aout 1993, j’ai obtenu une rente AI à 91 %. Dès ce moment et jusqu’à ma retraite en septembre 2025, j’ai travaillé à Polyval. J’ai arrêté de travailler deux ans avant l’âge de la retraite. Je n’arrivais plus à me concentrer après une chute en juin 2022, due à une baisse de pression.
J’aurais bien aimé faire le métier de comptable. Je suis très doué avec les chiffres, mais mes autres résultats scolaires n’étaient pas très bons. S’il n’y avait eu que les mathématiques, j’aurais été dans les premiers. Comme l’agriculture me passionnait, j’ai commencé à travailler avec mes parents. C’est plus tard que j’ai réalisé que j’aurais aimé être comptable, mais c’était trop tard pour changer. J’avais des problèmes de vue et, dans la tête, ça n’allait plus tellement bien.
J’ai étudié l’allemand de 2000 à 2008, avec une coupure de 3 ans. J’ai réussi le diplôme B1 en 2008. J’ai fait un stage en atelier protégé de novembre à décembre 2007 à Muntelier (près de Morat). Les collègues parlaient suisse allemand et je ne les comprenais pas très bien.
Durant deux ans, j’ai créé des liens avec une fille qui était aussi autiste. C’était assez difficile.
En 2023, j’ai commencé à apprendre l’italien avec Inlingua à Fribourg. Puis, j’ai fait un stage de 15 jours dans un hôtel au Tessin. À Lugano et Locarno, j’étais en vacances et je parlais beaucoup l’italien. J’ai créé des liens d’amitié avec Fernando et Emilio. Je vais aller les trouver prochainement.
Je suis parti en vacances pour la première fois à l’âge de 36 ans. Mes parents m’ont découragé : « Tu ne vas pas savoir te débrouiller. Tu dépenses ton argent. Ce n’est pas possible ! ». Je me suis senti blessé. Le jour du départ, ma mère me disait que je regretterais de partir seul et qu’en plus, j’allais manquer la messe. Pour elle, c’était un péché. Je suis croyant. Je vais souvent me recueillir dans les églises, mais je ne vais plus à la messe, car je suis en désaccord avec les prêtres qui abusent des enfants. En 1970, un prêtre a essayé de me prendre sur ses genoux. Il m’a menacé, mais je ne me suis pas laissé faire. Cependant, je me rappellerai toujours son horrible visage. Je ne pouvais pas en parler chez moi. J’aurais été puni et j’aurais reçu une fessée.
En fait, je suis une femme cachée dans un corps d’homme. Depuis mon enfance, j’aurais tellement aimé être une fille. C’était une époque où il ne fallait pas en parler. En 1972, ma mère n’a pas voulu écouter les médecins qui questionnaient mon genre. Aujourd’hui, grâce à mon éducateur et à l’ouverture d’esprit de l’institution, je peux porter des jupes à l’extérieur si, pour ma sécurité, je suis accompagné par le personnel éducatif. Les discussions sont en cours pour que je puisse porter des jupes sans être accompagné.
Dernièrement, j’ai créé une profonde amitié avec une fille autiste que j’aime beaucoup. Elle me comble de bonheur, même si elle est partie avec un autre. Nous restons amis et partageons beaucoup de moments ensemble. Comme moi, elle ne supporte pas le bruit et d’être entourée de trop de personnes. Avec elle, je vais beaucoup me promener dans la nature, aux bains thermaux. Nos vacances ensemble à Loèche-les-Bains et Lugano sont mes meilleurs souvenirs. Je ne pourrais pas tomber amoureux d’une autre personne.
Félicie |
Je m’appelle Landry Fragnière. Je viens d’avoir 50 ans. Nous avons fait une grande fête à cette occasion avec ma famille, mes amies et amis et mes collègues. Je vis avec ma maman. Je travaille aux Ateliers de la Glâne à Romont. Je dors aussi parfois aux Appartements (environ un tiers de mon temps) ; ça se passe bien. Quand je dors à la maison, le bus vient me chercher le matin et me ramène le soir. J’aime beaucoup m’assoir à l’avant et discuter avec la chauffeuse ou le chauffeur (mais j’accepte aussi d’être à l’arrière si la place de devant est occupée).
Je suis employé aux Ateliers de la Glâne depuis 30 ans. J’y ai été engagé directement après ma scolarité, que j’ai effectuée en école spécialisée aux Buissonnets à Fribourg. À la Fondation Handicap-Glâne, j’ai d’abord travaillé à « l’atelier bois », où je réalisais différentes tâches : sciage, ponçage, rabotage, etc. Ensuite, j’ai eu envie de changer et j’ai été embauché à « l’atelier cuisine ». J’aide à préparer les repas pour la Fondation, ainsi que certaines commandes exceptionnelles (par exemple, des cuchaules pour la Bénichon[3]). Il y a quelques années, j’ai de nouveau souhaité changer d’atelier et j’ai été engagé au secteur lingerie. Là, je m’occupe de la lessive : trier le linge, faire les paires de chaussettes, etc. Mais le MSP (maitre socioprofessionnel) de l’atelier cuisine me manquait trop. Alors, j’ai repris quelques après-midis par semaine en cuisine tout en restant à la lingerie. Ce MSP s’appelait B. Il est décédé il y a deux ans et cela m’a rendu très triste. Il était très à l’écoute, prenait le temps de parler avec chacune et chacun. Il comptait beaucoup pour moi. Je suis content qu’il y ait cette flexibilité aux Ateliers de pouvoir changer d’activité.
J’ai cinq semaines de vacances par an. Je peux aussi prendre des congés en dehors des vacances ; par exemple, quand j’ai l’occasion de faire un voyage qui sort de l’ordinaire. Avant la pandémie de Covid-19, il y avait des activités proposées dans le cadre des ateliers. Je faisais du fitness. Malheureusement, ça s’est arrêté avec le Covid.
Parfois, je suis un peu stressé. J’ai besoin de savoir ce qui va se passer. Pour chaque jour, j’ai une feuille avec la liste des différentes activités que je vais réaliser et des personnes qui seront là. ça me rassure. J’arrive à parler, mais on ne me comprend pas toujours, sauf si on me connait bien. Pour m’aider, j’utilise quelques signes, car j’avais appris la langue des signes à l’école ; certaines personnes la pratiquent à l’institution, mais pas tout le monde. J’ai aussi un iPad qui me permet de faire des phrases (par exemple, « J’aimerais aller boire un verre » ou « J’ai plié les sous-vêtements »). Je peux aussi envoyer des courriels avec ce programme. Je compose une phrase avec les pictogrammes, puis l’iPad les traduit en mots et j’envoie le message à la personne à laquelle je souhaite écrire. Je me débrouille très bien avec cet iPad, mais je parviens aussi à me faire comprendre sans cette aide. Il est également utile pour transmettre des informations entre la maison et l’atelier ou l’appartement. Je l’utilise aussi pour raconter mes voyages, grâce à l’application Pictello, qui rassemble des photos avec des commentaires écrits et lus par une voix de synthèse.
Je suis très sportif. J’aime la randonnée. Je fais partie de Sport-Handicap, qui organise des marches tous les mois. Je préfère les montées. L’idéal pour moi est de monter à pied et de redescendre en télécabine. Cet été, j’ai fait une randonnée de plusieurs jours avec des ânes dans le Gibloux. C’était super. Je fais aussi des tours à vélo avec ma maman, souvent de 20 à 40 kilomètres. Je vais également nager toutes les semaines avec Sport-Handicap. Je me débrouille plutôt bien, mais il ne faut pas que je boive la tasse, car cela me fait perdre mes moyens. Le premier weekend d’octobre, j’ai participé à la Course Morat-Fribourg. J’ai marché depuis Courtepin jusqu’à Fribourg.
J’aime aussi avoir des activités tranquilles, surtout après le travail. S’il fait beau, je vais faire un petit tour dans le village. S’il fait mauvais temps, je fais des puzzles, je regarde la télévision, je joue aux cartes ou avec mes nounours. Mon activité favorite : prendre l’apéro au tea-room du village. Si j’y vais à vélo, je bois un café. Si je suis à pied, je prends un panaché. J’apprécie également les évènements plus exceptionnels, comme aller au théâtre ou aux girons de la jeunesse.
J’ai déjà beaucoup voyagé. Je suis allé au Népal avec un groupe qui s’appelle Rando-3000. Nous sommes montés jusqu’à 3210 mètres. Cette année, nous sommes allés au Lago Ritom au Tessin ; ça m’a beaucoup plu. Avec l’agence Trek&Trip, qui organise des randonnées accessibles, je suis déjà allé en Bretagne, à Saint-Malo, à Tenerife, à Lanzarote, etc. Je fais aussi des voyages avec ma maman ainsi que des amis et amies. Par exemple, nous avons fait une croisière sur le Douro, au Portugal. Je suis aussi allé en Italie et en Croatie. Dans les endroits que nous visitons, j’apprécie non seulement les balades, mais aussi les visites culturelles et la gastronomie.
Il y a quand même des choses qui sont parfois compliquées pour moi, mais c’est difficile d’en parler. Je peux dire que je suis plutôt heureux dans ma vie !
Landry Fragnière Ateliers de la Glâne |
Je viens d’avoir 46 ans. J’ai le sentiment d’avoir accompli beaucoup de choses. Sans doute beaucoup plus que de nombreuses personnes de mon âge. J’ai quasiment fait le tour du monde. J’ai participé à des actions humanitaires, notamment à Rio, au Brésil. J’ai deux Masters et j’ai étudié à l’étranger avec le programme d’échange européen Erasmus. Je viens de commencer une thèse doctorale. J’anime plusieurs associations et j’ai des responsabilités publiques. Je suis beaucoup sollicité pour des conférences. Je suis très engagé pour l’expression de celles et ceux qui ont besoin, comme moi, de différentes formes de communication alternative améliorée (CAA).
Je mène une vie débordante d’activités et je suis très sollicité publiquement. Cependant, j’ai zéro point retraite [ndlr : aucune cotisation comptabilisée donnant droit à une rente de vieillesse]. Mon statut de « handicapé » semble me figer dans un instantané permanent, comme si mon statut administratif de personne en situation de handicap gèle, en quelque sorte, le temps.
Au printemps 2025, j’ai animé à Cerisy, en France, le colloque « Le handicap, entre assignation et émancipation. Le grand retournement ? ». Je crois donc que la période où nous vivons est porteuse de mouvements. Je vois bien que le temps fait son œuvre, mais de façon chaotique, pour des personnes de ma condition.
Toute la journée, je suis fixé dans une coquille sur mon fauteuil roulant, car je n’ai pas l’usage coordonné de mes membres. De plus, je n’ai jamais prononcé un mot, c’est-à-dire que je n’ai aucune communication orale directe. J’ai fait tout mon parcours, y compris universitaire, grâce à un mode d’épellation, lettre par lettre. Depuis quelques années, j’ai accès à une commande oculaire d’un ordinateur et d’une tablette, fixée sur mon fauteuil quand je me déplace. Ainsi, je suis profondément indépendant et totalement dépendant.
J’ai toujours eu un drôle de rapport avec le temps qui passe. Dès mon plus jeune âge, j’ai désiré prévoir et anticiper, comme si le mouvement dans ma tête pouvait compenser ma pesante contrainte physique. J’ai appris seul, très tôt, à lire les calendriers, à comprendre l’écoulement du temps et surtout à détecter les étapes à venir, notamment dans l’activité des autres. Mon père dit souvent que j’ai toujours plusieurs coups d’avance sur les autres et qu’ainsi je conduis ma vie de façon très active. La tenue de mon agenda prévisionnel est la chose la plus précieuse. Je l’associe à la grande mémoire du passé que j’ai développée. Celle-ci m’a permis, paradoxalement, de mettre du mouvement incessant dans ma vie « d’inactif ».
Je suis un bricoleur du temps, quand d’autres prétendent être maitres des horloges. Classé inactif, assigné dans une trappe d’inutilité, j’ai installé à ma manière le mouvement et l’action, peut-être de l’influence, en tout cas de l’attention et de l’intention. « Pour être confirmé dans mon identité, je dépends complètement des autres », affirme Hannah Arendt. J’ajoute à cela : à condition de ne pas les attendre, mais de toujours prévoir et anticiper leurs réactions pour ne pas se laisser enfermer dans leurs prescriptions sans autodétermination.
Philippe Aubert |
Une vie sans existence. C’est comme cela que je définirais mon état actuel. J’existe, voire je survis, mais je n’ai pas le sentiment de vivre. Je me sens hors du monde. C’est comme si l’on m’avait posée sur Terre sans m’en donner le mode d’emploi. Mon sentiment d’exister est fragile. Il peut disparaitre dans les moments où je suis seule. Je ressens dans ces moments-là un grand vide qui génère beaucoup d’angoisse, car je suis incapable de le remplir. Il s’impose à moi de manière douloureuse.
En préambule de mon témoignage, je tiens à dire qu’il y a autant de différences entre un individu « normal » et un autre individu « normal » qu’entre un malade psychique et un autre malade psychique. Ce qui veut dire que mon vécu de cette maladie n’est pas représentatif des maladies psychiques en général.
Enfant, j’étais différente, et donc, comme souvent dans ce cas-là, victime de harcèlement de la part de mes camarades de classe. Ce harcèlement a détruit une partie de mon estime pour le restant de ma vie. À la maison, ce n’était pas mieux. J’avais un père violent et alcoolique. J’ai vécu mon enfance dans la peur de mon père. Je trouvais refuge chez ma grand-mère, qui a été pour moi comme une mère. À l’époque, je ne savais pas où aller : entre l’enfer de la maison et celui de l’école. Je vivais un état de détresse permanent sans pouvoir y mettre des mots. Je ne parlais pas, j’avais honte.
Ensuite est venu le temps de l’adolescence, qui a été une période de ma vie relativement bonne, jusqu’à ce que la dépression s’en mêle. J’étais sans cesse fatiguée. Je n’avais pas envie d’aller faire la fête. Je passais des heures au lit.
C’est seulement à l’âge de 25 ans que l’on m’a diagnostiquée bipolaire de type II [ndlr : il est caractérisé par des épisodes dépressifs majeurs] avec trouble de la personnalité borderline. À la suite du diagnostic, j’ai eu droit à ma première hospitalisation. À l’époque, je travaillais comme enseignante dans un collège. Ce métier n’était pas fait pour moi, étant donné mon besoin de contrôle obsessionnel sur autrui comme sur moi-même. J’ai mis un certain temps à comprendre que je ne parviendrai jamais à contrôler parfaitement vingt enfants, toutes et tous différents.
Durant toute mon enfance, ma mère me faisait des reproches comme quoi mes notes n’étaient pas assez bonnes. Elle voulait à tout prix que je « fasse l’Université », peu importe laquelle, mais l’Université ! Soit. Alors, puisque je ne pouvais plus être enseignante, j’ai décidé d’étudier la psychologie à l’Université, afin de mieux comprendre mes troubles psychiques. J’ai bien écouté. J’avais d’excellentes notes, vu mon perfectionnisme, mais en sortant, à part connaitre le nom de ma maladie selon le DSM [ndlr : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux], je n’avais aucune idée de comment la guérir. Cependant, j’ai beaucoup aimé ces études et toujours aimé étudier en général. Toute ma vie, j’ai suivi bon nombre de formations en cours d’emploi, en psychothérapie principalement.
Après l’université, j’ai travaillé dans une institution de formation professionnelle spécialisée pour de jeunes adultes en difficulté. Je ne saurais dire précisément quelles difficultés, car cette institution était plutôt « un fourretout » pour les jeunes hors normes, quelle qu’en soit la raison.
À la suite de ce poste, et après différents essais infructueux entrecoupés par des périodes de chômage et d’hospitalisations, j’ai trouvé un poste de psychologue-conseillère pédagogique. Il s’agissait d’un service public dédié à aider les enseignantes et enseignants en difficulté. Je faisais de la médiation de conflit, j’enseignais à la HEP [ndlr : Haute école pédagogique], j’accompagnais les enseignantes et enseignants en burnout, je faisais du conseil auprès de celles et ceux qui avaient des élèves ou classes difficiles, etc. C’était un emploi très intéressant et où, pour une fois, je me sentais à ma place. J’y suis restée environ dix ans.
Malheureusement, mon trouble psychique est très peu influencé par l’environnement. Il fonctionne de manière quasi autonome. Même dans ce cadre professionnel épanouissant, ma maladie m’a, peu à peu, rendu les choses de plus en plus difficiles, jusqu’à n’en plus pouvoir. Un beau jour de printemps, lorsque nous étions en sortie annuelle avec tous mes collègues, une voix m’a dit « Non, ce n’est plus possible. Il faut arrêter maintenant ». J’ai quitté mes collègues en plein milieu de la journée et je ne suis jamais retournée au travail. Depuis, je suis à l’AI. En entrant dans la spirale destructrice de l’AI, j’ai perdu mon statut et ma dignité.
Une très grande difficulté, avant que je ne sois obligée de quitter mon emploi, était de devoir constamment cacher ma maladie, car une psychologue qui souffre d’un trouble psychique serait peu crédible auprès des patientes et patients. Je me sentais un peu comme une imposture. On aurait pu aussi voir les choses autrement : une personne qui vit une maladie psychique est plus à même de comprendre d’autres gens qui souffrent psychologiquement. Dans mon cas, je sentais que ce discours ne serait pas accepté par ma hiérarchie, voire mes collègues.
Plus je vieillis, plus ma maladie psychique s’aggrave. Le trouble bipolaire est une maladie avant tout neurologique – ce que beaucoup de psychiatres et psychologues ont du mal à admettre. Dans mon cas, j’ai eu le sentiment de vivre un acharnement psychothérapeutique. J’ai été en psychothérapie quasiment toute ma vie. J’ai essayé toute la panoplie des psychotropes existants et les électrochocs également, à tel point que je me présente maintenant aux psychiatres comme un « laboratoire pharmaceutique ambulant ».
À quoi ressemble ma vie aujourd’hui ? En vieillissant, les phases hypomaniaques du trouble bipolaire ont disparu pour laisser place à des phases dépressives uniquement. Mes phases dépressives me plongent dans une détresse et une souffrance atroce. Il n’est pas possible de rendre compte de cette souffrance par des mots. Cela se situe au-delà du langage ! Une personne qui ne l’a pas vécu ne peut pas comprendre. Ce qui me fait dire que les soignantes et soignants devraient parfois faire preuve d’un peu d’humilité face à une personne gravement déprimée.
Ma maladie comporte un symptôme très fort que l’on appelle « aboulie », c’est-à-dire l’incapacité à entreprendre une activité par moi-même. Cette aboulie m’a rendue dépendante d’autrui pour les actes de la vie quotidienne : faire à manger, faire les courses, sortir à l’extérieur, s’adonner à des loisirs… Mon époux a dû renoncer à son emploi pour devenir proche aidant.
Actuellement, ce qui m’aide le plus, ce ne sont pas des paroles d’écoute bienveillante, mais c’est la présence rassurante de mon époux, les activités thérapeutiques disséminées dans la semaine qui se situent dans le « faire ». Faire pour ne pas penser. Faire pour me centrer dans le moment présent du monde réel, dont je suis souvent déconnectée. Il y a aussi des personnes extraordinaires, rares, comme mon ergothérapeute et l’infirmière en psychiatrie qui vient à mon domicile deux fois par semaine.
Sophie |
Lisa Engels CSPS/SZH | Elodie Winkler CSPS/SZH |